Bilan 2018 : année mouvementée pour les langues officielles
L’année 2018 a été marquée par plusieurs avancées attendues en matière de langues officielles. Mais beaucoup reste à faire et les communautés francophones n’ont pas toujours obtenu ce qu’elles espéraient.
BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet
UNE CITATION
« À travers le Canada, toutes les communautés francophones ont à peu près disparu. »
La phrase lancée par Denise Bombardier à la populaire émission québécoise Tout le monde en parle a mis le feu aux poudres. Son échange avec l’ancien premier ministre du Canada, Jean Chrétien, a suscité de vives réactions sur les médias sociaux et dans les communautés francophones et acadiennes à travers le pays. À la Chambre des communes, plusieurs députés, tous partis confondus, dénoncent les propos de la journaliste et romancière.
Deux semaines plus tard, l’animateur et humoriste Dany Turcotte fait une mise au point en préambule de Tout le monde en parle : « Il y a 2,7 millions de fiers francophones hors du Québec, alors gardez vos bonnes habitudes, regardez Tout le monde en parle, et parlez français bien sûr ».
Le 25 novembre, l’émission consacre un de ses segments au mouvement de résistance qui s’organise en Ontario pour lutter contre les compressions en matière de services en français décidées par le gouvernement progressiste-conservateur de Doug Ford, en invitant quatre Franco-Ontariens.
UN LIEU
Vancouver
Une nouvelle fois devant les tribunaux, les francophones de Colombie-Britannique concèdent une lourde défaite dans la cause qui les oppose au gouvernement fédéral. La Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB) reproche au gouvernement fédéral d’avoir oublié ses obligations linguistiques en transférant aux provinces les services d’aide à l’emploi, en 2008, sans fixer de clause en matière de langues officielles. Résultat : une baisse d’accès et de qualité des services à l’emploi en français dans la province.
Mais dans sa décision du 23 mai, le juge de la Cour fédérale blanchit le gouvernement, estimant qu’Ottawa n’a pas enfreint ses obligations de prendre « des mesures positives » pour favoriser l’épanouissement des communautés francophones et anglophones du Canada en prenant cette décision. Car selon le juge Gascon, le concept de « mesures positives » est trop mal défini.
Pour la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, cette décision rend d’autant plus urgente la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
UN CHIFFRE
500 millions
C’est la somme additionnelle qui est ajoutée dans le nouveau Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023, intitulé Investir dans notre avenir. Ce plan comporte une bonification de 400 millions de dollars sur cinq ans, à laquelle s’ajoutent une enveloppe de 10 millions de dollars prévue pour améliorer l’accès à la justice en français et en anglais et 89,2 millions de dollars déjà annoncés en 2017, notamment pour des investissements en infrastructures éducatives et communautaires.
Attendu depuis longtemps, le Plan, dévoilé en mars par le premier ministre Justin Trudeau et par la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, est accueilli avec satisfaction dans les communautés, même si au départ, la FCFA demandait une bonification de 575 millions de dollars juste pour les francophones. La majoration de près de 500 millions devra être partagée entre les francophones et les anglophones qui vivent en contexte minoritaire.
Certains analystes déplorent toutefois le manque de vision du Plan « qui n’est encore une fois qu’un catalogue d’initiatives, dans lequel on ne retrouve aucun message fort pour la promotion de la dualité linguistique et des deux langues officielles comme valeur de notre pays », regrette le politologue de l’Université d’Ottawa, Martin Normand.
UNE PERSONNALITÉ
Mélanie Joly
La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, aura traversé une année difficile. Sous les projecteurs pour dévoiler le très attendu Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023, elle est rétrogradée à l’été, conséquence notamment de sa gestion de la controverse entourant l’entente avec le géant américain Netflix. En juillet, le premier ministre la nomme à la tête d’un nouveau ministère du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie.
Mais la députée québécoise réussit à revenir sur le devant de la scène en dénonçant les propos de Denise Bombardier à Tout le monde en parle, puis en pilotant la réponse du gouvernement fédéral aux actions du gouvernement ontarien en matière de services en français.
Très virulente, n’hésitant jamais à attaquer le Parti conservateur du Canada (PCC) et son chef Andrew Scheer qu’elle accuse de partager la vision du premier ministre de l’Ontario Doug Ford, la ministre Joly passe en mode électoral, à quelques mois des élections fédérales. Une attitude jugée trop partisane par certains, mais qui attire l’attention médiatique sur Mme Joly.
UNE DATE
2023
Plus de services fédéraux bilingues à travers le pays? C’est ce que devrait permettre la révision des règlements pour déterminer où les services sont offerts. Mais il faudra attendre 2023 pour que ces nouvelles règles entrent en vigueur.
Annoncée par le président du Conseil du Trésor, Scott Brison, et la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie, Mélanie Joly, cette révision prévoit une définition plus inclusive de la francophonie.
Le gouvernement annonce le maintien des services bilingues tant que la population reste la même ou s’agrandit, même si son poids démographique diminue, et qu’il tiendra compte de la présence d’institutions francophones comme d’un facteur pour offrir des services dans les deux langues officielles.
Selon les calculs du gouvernement, près de 40 % des points de service fédéraux, dont les bureaux de Postes Canada, pourraient devenir bilingues, contre 34 % actuellement. Actuellement, on compte 3 900 bureaux désignés bilingues sur 11 500 à travers le Canada.
Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge et l’ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache, jugent toutefois que le gouvernement fédéral ne va pas assez loin et critiquent la complexité du nouveau règlement.
POUR EN SAVOIR PLUS :
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