Changement de tactique pour le bilinguisme des juges à la Cour suprême

La Cour suprême du Canada. Archives, #ONfr

OTTAWA – La tentative néo-démocrate de forcer le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada ayant échoué, plusieurs militants du dossier se tournent désormais vers une alternative qui ne fait toutefois pas l’unanimité.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Dans son mémoire déposé au comité sénatorial des langues officielles, l’Association du Barreau canadien (ABC) propose de passer par la modification de la Loi sur les langues officielles. La Loi prévoit déjà que les juges des cours fédérales entendent les causes dans la langue de choix des parties sans interprète, mais elle contient une exemption pour le plus haut tribunal du pays.

« L’ABC demande que cette exception soit retirée et que la Cour suprême du Canada et soit traitée de la même façon que les autres tribunaux fédéraux. L’objectif, c’est que l’institution soit bilingue et que tout justiciable soit capable de se présenter devant elle et d’être entendu dans la langue officielle de son choix, sans l’aide d’un interprète », explique le président du comité de direction de la section des juristes d’expression française de common law de l’ABC, Mark Power.

Cette proposition faisait aussi partie des recommandations du comité permanent des langues officielles, dans son rapport Pour que justice soit rendue dans les deux langues officielles, en décembre 2017.

Pas nécessaire de n’avoir que des juges bilingues?

Cette proposition pose toutefois des problèmes, a déjà expliqué à #ONfr le professeur de droit et avocat, devenu depuis juge à la Cour fédérale, Sébastien Grammond.

« Cela supposerait que les juges qui ne sont pas bilingues se retirent et que l’on plaide uniquement devant ceux des neuf juges de la Cour suprême du Canada qui parlent la langue choisie. Je ne pense que ce soit souhaitable, surtout dans des causes importantes, ni que ça ferait l’affaire de tous. »

Une analyse que confirment les propos de M. Power, relatifs à la proposition de l’ABC.

« Cela ne voudrait pas nécessairement dire que tous les juges seront bilingues et peut-être que le gouvernement voudra nommer quelqu’un d’unilingue. Mais l’ABC estime important que le bilinguisme institutionnel soit codifié à la Cour suprême du Canada. »

Pour l’ancien député néo-démocrate et porte-parole aux langues officielles, Yvon Godin, qui a porté le dossier pendant plusieurs années sans succès, cette solution n’est toutefois pas souhaitable.


« Ça créerait une inégalité pour les francophones. » – Yvon Godin, ancien député


« C’est une option que j’avais regardée dans le temps, mais elle désavantagerait les francophones qui n’auraient alors pas accès à tous les juges à la Cour suprême et à leurs qualifications, si certains ne parlent pas le français. De plus, dans des causes importantes, notamment quand on touche à la Constitution, on a besoin d’avoir les neuf juges autour de la table. »

Actuellement, on compte huit juges bilingues sur neuf à la Cour suprême du Canada. Seul le juge Michael Moldaver utilise les services d’interprétation simultanée.

Projet de loi

Après l’échec de son projet de loi visant à inclure l’obligation de bilinguisme des juges dans la Loi sur la Cour suprême, le successeur de M. Godin au Nouveau Parti démocratique (NPD), François Choquette, a déposé un projet de loi, en juin dernier, pour modifier la Loi sur les langues officielles, comme le suggère l’ABC.

« Ce que je propose, c’est de lever l’exception et d’ajouter que le gouvernement fédéral s’engage à veiller à ce que les juges qui siègent aux tribunaux fédéraux comprennent les deux langues officielles. C’est une modification qui pourrait se faire tout de suite. Le gouvernement pourrait très bien reprendre mon projet de loi, s’il le voulait. »

Pour M. Godin, cette démarche répond à la position du gouvernement libéral qui a voté contre le projet de loi de M. Choquette visant à modifier la Loi sur la Cour suprême, estimant qu’il faudrait alors rouvrir la Constitution.

« Même Stephen Harper ne s’était pas servi de cet argument pour s’opposer à mon projet de loi! », lance-t-il. Et de poursuivre : « Je pense qu’on en arrive à cette proposition [modifier la Loi sur les langues officielles] parce qu’on ne voit pas d’autre option, mais ça ne réglera pas le problème. »

Une première étape

Le premier ministre Justin Trudeau s’est engagé à ne nommer que des juges bilingues, ce qu’il a fait avec les juges Malcome Rowe et Sheilah Martin. Lors de son passage devant le comité sénatorial des langues officielles, Marc Giroux, le commissaire à la magistrature fédérale, a salué les progrès entraînés par le nouveau processus de nomination des juges, mis en place par le gouvernement libéral, qui évalue le bilinguisme des candidats.

« Avant, nous n’avions aucun critère pour évaluer le bilinguisme. Le nouveau processus a permis de déterminer un seuil. »

Mais la question demeure en cas de changement de gouvernement. Et c’est la raison pour laquelle M. Choquette maintient qu’il faut modifier la Loi sur la Cour suprême.

« Modifier la Loi sur les langues officielles, c’est seulement une première étape », dit-il.


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