
Chute de candidatures pour la rentrée 2025 : les universités francophones sonnent l’alarme

TORONTO – La nouvelle année universitaire, qui débutera cet automne, verra la fin du plafond des permis d’études imposé par Ottawa très tôt l’année dernière. En parallèle, le projet pilote visant à attirer et à retenir des étudiants internationaux dans les communautés francophones en situation minoritaire, va revoir son plafond d’ici un mois. Néanmoins, de récentes données quant aux demandes d’admission vers les universités franco-ontariennes révèlent une faille dans le recrutement de futurs étudiants.
« On n’a plus la réputation qu’on avait », lance Linda Cardinal, ancienne vice-rectrice adjointe à la recherche de l’Université de l’Ontario français. C’est la première fois qu’elle voit ces courbes descendantes.
D’après les chiffres compilés par le Centre de demande d’admission aux universités de l’Ontario (OUAC), au printemps, l’Université de l’Ontario français (UOF) a reçu 301 demandes d’étudiants ne provenant pas des écoles secondaires, contre 683 l’an dernier. À l’Université de Hearst, c’est 28 contre à 69 et à l’Université d’Ottawa, environ 21 000 contre 28 000.
Comparativement aux années précédentes, comme en 2022 qui s’était achevée en comptant plus de 800 000 personnes avec un permis d’études en main, le gouvernement indique que la nouvelle cible pour l’année universitaire 2025-2026 sera de 437 000 permis.
À l’Université de Hearst, où 80 % des étudiants viennent de l’extérieur du Canada, la rectrice, Aurélie Lacassagne, explique que les demandes d’admission se font directement sur leur site et non à travers le système du OUAC.
Même si elle affirme que l’heure n’est pas encore venue de proclamer les chiffres, « on appréhende une chute », mesure-t-elle.

En regard de l’effort fédéral pour l’immigration francophone, le Programme pilote pour les étudiants dans les communautés francophones en situation minoritaire (PPECFSM) est entré en vigueur il y a tout juste un an. Seulement, les acteurs du postsecondaire franco-ontariens n’ont pas tardé à sonner l’alarme sur les limites du projet.
Un projet pilote insuffisant
Ce projet assure exactement 2300 permis d’études, distribués entre les établissements postsecondaires hors-Québec, soit environ une vingtaine d’institutions. La vice-rectrice aux études et à la recherche de l’UOF, Isabelle Dostaler, précise que « le nombre de demandes d’admission que nous avons reçu est en fait moindre que le nombre de places qu’on nous a assignées dans le cadre du programme. »
Quant à Hearst, la rectrice estime que le programme fait une grosse différence avec ses petits chiffres.
Du côté de la capitale, la rectrice et vice-chancelière de l’Université d’Ottawa, Marie-Eve Sylvestre, affirme que « limiter le nombre de permis d’études qui sont octroyés aux étudiants internationaux dans les universités affecte tout le secteur. »
Cette dernière insiste notamment sur les défis budgétaires, qui demeurent la bête noire de nombre d’établissements. « Le contexte budgétaire est très difficile présentement pour les universités. Ça, c’est clair », souligne-t-elle.

Le récent remaniement du gouvernement de Mark Carney, à l’issue duquel Lena Diab est ressortie comme nouvelle ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (IRCC) au mois de mai, renforce l’incertitude qui ternit les prochaines étapes.
Le ministère de l’IRCC a répondu à ONFR : « Le programme vise à favoriser la transition vers la résidence permanente pour les étudiants étrangers francophones confrontés à des taux de refus de permis d’études historiquement élevés », précisant que tout nouveau développement sera communiqué publiquement.
Le ministère a prévu de déterminer le mois prochain un nouveau plafond pour la deuxième année du programme.
Le directeur général du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), François Hastir, souligne que l’attraction d’étudiants internationaux francophones demeure primordiale dans la préexistence des communautés francophones en Ontario. « Ça contribue à avoir une main-d’œuvre francophone qui va être qualifiée. Si on part sur l’Université de Hearst, c’est une région qui accueille des cours d’étudiants francophones en proportion, et ça contribue évidemment à leur vitalité. »
Un processus de demande semé d’embûches
« C’est plus compliqué de transformer une demande d’admission en une personne » réellement dans les classes de cours, dit Aurélie Lacassagne.
Selon elle, le problème émane dès le départ dans le pays d’origine : « Il y a un problème de services consulaires et combien d’employés parlent effectivement français. Même à Dakar ce n’est pas évident, donc il y a beaucoup de Lost in Translation et les employés consulaires anglophones n’ont peut-être pas la même sensibilité », explique-t-elle.
Isabelle Dostaler de l’UOF note que ces problématiques s’ajoutent aux délais de traitement des demandes via IRCC et la forte proportion de refus « pour des raisons souvent discutables », tranche-t-elle.

L’Université de Hearst s’est retroussé les manches afin d’accompagner le plus possible les étudiants tout au long du processus. « Il faut que les universités mettent en place des ressources pour s’assurer que les étudiants ne sont pas perdus dans les dédales bureaucratiques et que les administrations les accompagnent dès le départ », avance Aurélie Lacassagne.
Un jeu de pile ou face
Dans le postsecondaire francophone, on se sent pris de court. « On doit être créatif. On doit tenter de générer de nouveaux revenus en maintenant notre mission fondamentale d’enseignement et de recherche ici à l’université, y compris de desservir la communauté franco-ontarienne », reconnait Marie-Eve Sylvestre.
Par ailleurs, la plainte qui avait été déposée auprès du Commissariat aux langues officielles après que l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) ait estimé que le plafond d’étudiants étrangers enfreint délibérément la Loi sur les langues officielles « suit son cours et les parties seront informées en temps et lieu », nous rapporte la communication du commissaire.
Dans un point de vue global, la posture du Canada comme l’eldorado des étudiants n’a jamais semblé autant remise en question. « Ça envoie un message aux autres pays de la francophonie, qui est peut-être reçu comme : ‘Bon, ben on n’est peut-être pas les bienvenus au Canada’ », craint François Hastir.
« Je crois que la politique mal avisée du gouvernement fédéral d’imposer un cap nuit considérablement à la réputation du Canada », conclut Mme Dostaler.
Pour le moment, les universités s’en tiennent à des calculs internes mais, d’ici septembre, elles pourraient encore une fois être amenées à déplorer le soi-disant bénéfice du programme.
« Quand on pense à l’immigration francophone hors Québec, c’est notre meilleure chance », réaffirme la rectrice de l’Université de Hearst.