La secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, inaugurant le Village de la Francophonie, ce mercredi à Paris. Photo : ONFR/Rudy Chabannes

PARIS – Bombardements israéliens au Liban, invasion russe en Ukraine, rébellion armée dans l’est de la République démocratique du Congo, annexion du Haut-Karabakh en Arménie, insurrection djihadiste au Sahel… Attentive au maintien de la paix, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) peine pourtant à peser dans la résolution des conflits qui frappent ses membres.

« Nous avons beaucoup de soutien, mais pas vraiment d’outils pour peser sur les forces en place », concède Louise Mushikiwabo, interrogée par ONFR à propos de la guerre au Liban, évoquant « un poids plus moral qu’autre chose ».

De passage au Village de la francophonie, à deux jours du Sommet de la Francophonie, la secrétaire générale de la Francophonie n’a pu que constater l’escalade d’un « conflit qui sort loin des frontières du Liban », ce « pays frère » qui abrite l’ambassade de l’OIF ainsi que 40 % de locuteurs de langue française.

À la suite des bombardements au Pays du Cèdre, la secrétaire générale de l’OIF a, il y a deux jours, par voie de communiqué « exprimé sa solidarité », comme elle l’avait fait un an et demi plus tôt pour l’Ukraine. Face à l’agression russe, elle se disait déjà début 2023 « extrêmement préoccupée par la persistance de l’agression », convaincue que le multilatéralisme restait un « outil incontournable de stabilité mondiale ».

La patronne de l’OIF avait utilisé la même sémantique (« gravement préoccupée ») un an plus tôt à l’égard des incursions du M23 dans l’est de la République démocratique du Congo, un groupe armé soutenu par le Rwanda.

Un manifestant tient un panneau indiquant « Arrêtez de tuer le peuple libanais » lors d’une manifestation pro-palestinienne et pro-libanaise alors que les frappes aériennes israéliennes s’intensifient dans le sud du Liban, le dimanche 29 septembre 2024, à Paris. Photo : AP/Christophe Éna)

Mais aujourd’hui, elle ne se fait plus d’illusion : « Les solutions à ces conflits ne viendront pas d’une organisation multilatérale. Ce qui manque à l’OIF, c’est aussi ce qui manque aux Nations unies. De grands pays sont impliqués (dans ces conflits) et sont à la poursuite de leurs propres intérêts. Ce sont là nos limites. »

Au Liban comme en Ukraine ou en RDC – trois membres de l’OIF : deux permanents et un observateur – qui continuent d’essuyer une violation de leur territoire, la voix de l’OIF ne semble ni attendue, ni entendue. Pour une raison simple : « Le multilatéralisme, ça ne fonctionne plus », estime le journaliste Jean-Benoît Nadeau.

« On n’est plus dans l’après-guerre de 1945. On est dans une ère de retour au bilatéralisme favorisé par les grandes puissances qui divisent pour mieux régner. L’OIF connait les mêmes difficultés que toutes les organisations internationales. »

Un rassemblement à Goma, en République démocratique du Congo, en mai dernier, pour pleurer les victimes de l’attaque du camp de Mugunga trois jours plus tôt. Photo : AP/Moïse Sawasawa

À cela s’ajoute, selon lui, le choix de la secrétaire générale. Pour une organisation qui se vante de favoriser la démocratie, on ne peut pas nier le déficit démocratique dans son pays » (le Rwanda) gouverné par « un des dictateurs les plus durs du moment ».

D’autres observateurs pointent d’ailleurs le manque de leadership de la secrétaire générale. « Les personnes comme M. Diouf (ancien président sénégalais à la tête de l’institution de 2003 à 2014) avaient plus d’ascendant », compare Christine St-Pierre, ancienne ministre québécoise des Relations internationales et de la Francophonie.

« On dirait que ce leadership s’est dilué au fil des années. La prédécesseure de Mme Mushikiwabo, Mickaëlle Jean, n’a pas non plus réussi à s’imposer. L’OIF devrait être incarnée par un visage fort sur la scène mondiale, comme un ancien chef d’État », croit Mme St-Pierre.

Les « intrigues de couloir » au sein d’une institution qui a connu trois administrateurs en six ans ont en outre contribué à effriter la crédibilité de l’institution, ajoute l’ancienne ministre du gouvernement Couillard, citant l’interventionnisme de la France dans la nomination de l’ancienne ministre rwandaise des Affaires étrangères, à un moment où la France voulait assainir ses relations avec ce pays des Grands Lacs, meurtri par le génocide.

Mme Mushikiwabo a pourtant mené plusieurs réformes, au cours des derniers mois, révisant les structures internes de l’OIF pour favoriser la transparence de l’organisation, simplifier la prise de décision et la coopération entre États et recentrant ses actions sur les dossiers les plus pertinents.

Il n’empêche, « il y a toutes sortes de questions sur la façon dont l’argent est géré et sur les priorités de l’OIF, insiste Mme St-Pierre. Mme Mushikiwabo doit s’imposer dans son deuxième mandat vis-à-vis de certains chefs de gouvernement. On n’a pas senti un appui très fort sur ce qui s’est passé en Arménie par exemple, et un silence sur l’Ukraine et le Liban », soupèse l’ancienne journaliste québécoise.