Cinq pistes de solution à la crise du postsecondaire en français
Les coupures massives dans les dernières années à l’Université Laurentienne et au Campus Saint-Jean ainsi que les difficultés de l’Université de l’Ontario français (UOF) ont amené les problèmes des établissements francophones à l’avant-plan. Des solutions pourraient émerger au cours du Sommet des États généraux sur le postsecondaire en contexte francophone minoritaire au Canada qui se poursuit aujourd’hui. ONFR+ a sondé différents intervenants et dresse cinq pistes de solution.
Un financement plus important des gouvernements
« C’est une crise complexe avec plusieurs dimensions », note d’entrée de jeu Normand Labrie.
Pour le spécialiste sur l’accès au postsecondaire en Ontario pour les francophones, une augmentation du financement provincial est l’une des plus grandes façons de régler le fléau.
« Si on regarde à l’échelle canadienne, tous font face à la question du financement par les provinces à des degrés divers. On peut le voir avec les difficultés qu’a connues l’UOF à démarrer, avec la situation de la Faculté Saint-Jean et La Laurentienne en crise. C’est plus que juste une crise par institution. C’est vraiment une crise systémique à plusieurs dimensions… Il y a des investissements, mais ça prend des investissements majeurs. »
Il y a aussi le rôle du fédéral, souligne le professeur de l’Université de Toronto. Le gouvernement Trudeau s’est engagé à donner 40 $ millions par année et 121 $ millions sur trois ans aux établissements en milieu minoritaire. Même s’il s’agit d’un champ de compétence provinciale, Normand Labrie croit que le gouvernement devrait s’engager encore plus.
« 40 ou 80 millions de dollars, ce n’est pas beaucoup d’argent. Ça semble beaucoup, mais quand on redistribue à travers des établissements en difficulté, ça revient à saupoudrer. Si on est sérieux, ça va prendre des investissements plus importants. »
Une meilleure collaboration dans le réseau
Pour Lynn Brouillette, présidente de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), il doit y avoir une meilleure coopération entre institutions.
« Les hauts dirigeants des établissements souhaitent faire davantage de collaboration pour notamment faire des économies et en même temps augmenter leur offre à leur clientèle (…). On peut voir ce qu’il existe en termes de programmes et collaborer avec d’autres institutions là où il y a des trous. Il faut s’entendre entre nous sur qui peut offrir quoi en termes de partenariats. »
Pour Marguerite Tölgyesi, présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), le problème du postsecondaire francophone en milieu minoritaire réside actuellement dans le recrutement des étudiants et des enseignants. Il faudrait repenser le modèle, et la rétention des étudiants en plus d’avoir une vision plus systémique.
« Les forces de chacun et chacune pourraient bénéficier à l’ensemble des institutions ». Une manifestation concrète de cette idée serait que celles-ci proposent « un recrutement à la carte des spécialisations » afin de permettre aux étudiants « de voir plus loin que leur propre cercle et de garder ces jeunes qui sont intéressés dans ces domaines d’expertise ».
Une mobilité accrue
Faciliter la rétention des étudiants passerait aussi par une priorité accordée à la mobilité francophone au sein du postsecondaire selon Marguerite Tölgyesi, notamment l’accréditation des cours obtenus dans d’autres institutions. Un dialogue est nécessaire entre celles-ci afin de mettre en avant les possibilités existant au sein du réseau institutionnel francophone, selon l’étudiante.
« Je suis allée à l’Université de Moncton et maintenant j’étudie en ligne à l’Université Laval mais, honnêtement, c’est parce que je ne savais pas trop s’il y avait autre chose ailleurs », donne-t-elle en exemple.
Une solution que défend aussi Lynn Brouillette, dont l’organisme représente 22 institutions de la francophonie. Elle pense que cette mobilité pourrait profiter aux professeurs et chercheurs.
« Il y a des modèles qui existent pour la mobilité et on doit explorer différents modèles. Je pense notamment à la maîtrise en administration des affaires par exemple dont plusieurs universités l’offrent. Pourquoi ne pas faire une année dans une place et l’autre dans une autre? Il y a plusieurs options à explorer. »
Une plus grande ouverture
Ancien professeur de l’Université Laurentienne, Joël Béliveau a vécu la crise au plus près, perdant son emploi en raison des coupes de 40 programmes francophones. Selon lui, il est important de comprendre que la réalité des institutions postsecondaires en milieu minoritaire a changé depuis ses débuts et que celles-ci ne sont plus uniquement destinées à une seule communauté.
« La communauté francophone n’est plus forcément loyale. Elle s’est diversifiée et complexifiée », soutient-il.
Face au défi de la culture de la consommation et une concurrence féroce, les établissements postsecondaires en milieu minoritaire devraient, selon lui, miser sur l’excellence et sur l’attraction générale de la clientèle étudiante.
« Il faut penser un peu plus en termes d’étudiants internationaux, de francophones issus de l’immigration, d’étudiants issus des programmes d’immersion française et d’étudiants autochtones », selon lui.
L’insécurité linguistique est aussi un frein à l’épanouissement de ces établissements qui engendre la perte potentielle de nombreux étudiants, raison pour laquelle l’accueil des francophiles, dans toute leur diversité, doit être une priorité.
« Il y a beaucoup d’anglophones et même de francophones qui ne savent pas si leur niveau est assez bon pour étudier au postsecondaire en français, mais il faut que nos établissements les rassurent, les accompagnent et sachent vendre ce savoir-faire francophone comme un véritable avantage pour le marché du travail », conclut-il.
Maintenir des frais de scolarité abordables
Les étudiants internationaux sont considérés comme une source de revenus importante pour les établissements postsecondaires en milieu minoritaire et sont de plus en plus nombreux à venir chaque année selon François Hastir, directeur général Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO). Une situation qui pousse ces établissements à augmenter de manière considérable leurs frais de scolarité au cours de la dernière décennie.
« Il faut trouver un moyen de garder ces frais abordables, car sinon on risque de ne plus pouvoir en recruter », prévient François Hastir.
Il ajoute qu’il faudrait également consacrer un financement dédié afin de leur offrir un environnement académique et un milieu de vie qui leur permettent une bonne intégration dans les communautés francophones. Il pointe aussi vers le dossier des étudiants africains étrangers, refusés à des taux aussi élevés que 75 % dans des universités franco-ontariennes.
« Le provincial et le fédéral doivent également s’asseoir afin d’éviter que ceux-ci se voient refuser des visas d’études comme on l’a vu récemment. »