Doug Ford, 100 jours pour convaincre et un agenda politique millimétré

La premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, dans une course contre la montre à la réélection
La premier ministre de l'Ontario Doug Ford. Archives ONFR+

TORONTO – Alors que les travaux parlementaires sont dans leur dernière ligne droite à Queen’s Park, cent jours séparent désormais le premier ministre du verdict des urnes. Les élections provinciales du 2 juin confirmeront ou non Doug Ford dans ses fonctions, après un premier mandat secoué par une pandémie mondiale qui a révélé la fragilité du système de santé ontarien.

À défaut d’appliquer son programme, le premier ministre se sera efforcé, tout au long des deux dernières années au pouvoir, d’endosser les habits d’un capitaine dans la tempête faisant la promesse à son équipage de ramener tout le monde à bon port.

Mais l’orage sanitaire s’est transformé en tsunami politique. Plus de 12 200 personnes sont décédées des suites de la COVID-19, tandis que les hôpitaux sont toujours à la recherche d’oxygène pour redonner du souffle à leur personnel et que nombre d’entreprises sont fragilisées. L’opposition en a fait son cheval de bataille qui a affaibli l’image du gouvernement, sans éroder sa base électorale. Les sondages le démontrent : 35 % des Ontariens ont l’intention de reconduire leur confiance au Parti progressiste-conservateur.

D’ailleurs, historiquement, à de très rares exceptions, le parti provincial porté au pouvoir a toujours eu des couleurs divergentes de celui qui gouverne le Canada. « En Ontario, on aime bien cette idée de contrepoids idéologique entre le fédéral et le provincial », note Geneviève Tellier, politologue à l’Université d’Ottawa.

Doug Ford, premier ministre de l’Ontario. Archives ONFR+

La réélection de Trudeau conforte donc la Ford Nation qui dispose d’une avance d’autant plus confortable que le travail d’opposition des néo-démocrates ne se traduit pas – ou peu – en intention de vote. Là aussi le sens de l’histoire ontarienne? Excepté Bob Rae de 1990 à 1995, jamais dans l’histoire, le NPD n’a dirigé la province la plus riche du Canada.

Sans compter que les libéraux peinent à imposer leur leader et leur vision. « Ils essayent plus d’aller chercher les électeurs du NPD que ceux du Parti conservateur », poursuit Mme Tellier pour qui cette stratégie est une erreur. « Ils devraient ratisser large au contraire. Depuis trois élections, le NPD semble trop à gauche pour gouverner mais, étonnement, Steven Del Duca ne s’est pas recentré et pousse l’agenda sur les garderies, les congés payé, etc. », analyse-t-elle, dépeignant un chef libéral « effacé » souffrant d’un « problème d’image et de perception ».

Un arsenal de mesures populaires qui rappelle la campagne de 2018

Il faut dire que Doug Ford a agi en faisant passer des réformes populaires, que ce soit la hausse du salaire minimum, l’abolition des péages autoroutiers ou encore la suppression, cette semaine, de la taxe d’immatriculation. « On touche là directement au portefeuille de l’électeur à l’approche des élections », observe Peter Graefe, politologue à l’Université McMaster, à Hamilton.

« C’est un stratagème dans la continuité du scrutin de 2018 pour attirer les électeurs-consommateurs friands de promesses à la sauce de la bière à un dollars », poursuit-il. « Reste à voir si les Ontariens chercheront à faire des économies quand ils iront voter ou si, suite à la pandémie, ils attendront un peu plus d’audace de la part de leurs dirigeants, cherchant en eux des bâtisseurs plutôt que des marchands. »

Pragmatique, le premier ministre a su aussi doser son rapport de force avec le gouvernement fédéral et réajuster certaines de ses positions, en rouvrant les écoles durant la pandémie, en adoptant le passeport vaccinal ou encore en s’opposant au convoi de la liberté quand l’économie ontarienne était en jeu.

Steven Del Duca (PLO), Doug Ford (PPC), Andrea Horwath (NPD) et Mike Schreiner (Parti vert). Montage ONFR+

Il a enfin damé le pion de ses rivaux politiques en réformant le système de santé et en modernisant la Loi sur les services en français.

Il n’en reste pas moins pris en étau entre une opposition officielle va-t-en-guerre à gauche de l’échiquier politique et une frange droitiste de son électorat qui attend toujours de lui qu’il déroule sa vision conservatrice que la pandémie a mise entre parenthèses forcées. « Ce gouvernement a été élu en promettant des changements de fond dans l’État ontarien mais qui, à cause d’un manque de rigueur dans sa gestion des deux premières années, a fait très peu de progrès », rappelle M. Graefe. « Par la suite, avec la pandémie, on est passé à autre chose et des promesses sont tombées à l’eau comme réduire la taille de l’État et les taxes. »

Une réélection serait dès lors, pour Doug Ford, l’opportunité d’endosser le rôle de sauveur d’une économie ontarienne toute juste convalescente et de concrétiser ses promesses, mais les électeurs lui redonneront-ils les mêmes coudées franches pour le faire? Ses troupes avaient recueilli 41 % des voix en 2018, un plébiscite qui entrainait avec lui l’implosion du Parti libéral après 15 ans de règne, en même temps que l’accession du Nouveau Parti démocratiques au rang d’opposition officielle.

Un gouvernement minoritaire : un scénario à ne pas exclure

Avec un bilan ébranlé par la crise sanitaire, le désintérêt pour l’environnement et les désastres d’une l’inflation galopante, les urnes pourraient bien accoucher, au soir du 2 juin, d’un gouvernement minoritaire, une position qui réduirait considérablement le champ d’action du navire progressiste-conservateur, voire même renverserait la donne en débouchant sur un gouvernement de coalition. « On a déjà vu ce cas de figure sous le gouvernement libéral Peterson (1985) qui avait fait une alliance avec le NPD pour prendre le pouvoir aux conservateurs », illustre M. Graefe.

Dès lors, dans cette dernière ligne droite, qui coïncide avec le retour en chambre des députés à Queen’s Park, les faits et gestes du gouvernement se révéleront décisifs. Attendue sur le logement, le pouvoir d’achat, la reprise économique et le postsecondaire, la Ford Nation garde de précieux atouts en poche : baisser les impôts et conclure une entente avec Ottawa sur les garderies à 10$ constitueraient autant de trophées populaires à quelques miles du scrutin du 2 juin.

L'Assemblée législative de l'Ontario. Crédit image: Jackson Ho
L’Assemblée législative de l’Ontario a repris ses travaux ce mardi. Archives ONFR+

Avec un déficit ramené à 13,1 milliards de dollars, la fin des restrictions sanitaires programmée en mars et un ultime budget dans la foulée, en guise de préplateforme électorale, le gouvernement dicte définitivement l’agenda, vent dans le dos. « S’attaquer au déficit montre généralement l’image d’un gouvernement responsable et le dernier budget, rarement adopté tel quel, sert à annoncer les mesures qu’on prendra si on est réélu. Ford va utiliser ces stratégies à son avantage », prévoit Mme Tellier. « Il a un plan pour chacun des 100 jours à venir », renchérit M. Graefe.

Mais le spectre de nouvelles coupes en début de mandat, à l’image de 2018, reste gravé dans la mémoire des électeurs, y compris franco-ontariens. S’il a libéré des millions de dollars pour tenter de juguler la crise sanitaire, l’image d’austérité budgétaire « hors pandémie » colle à la peau de Doug Ford. Ce dernier n’avait pas hésité à geler les salaires des fonctionnaires et à éliminer les postes de commissaire aux Services en français et à l’Environnement.

Au sortir de la tempête sanitaire, le 26e premier ministre de l’Ontario aspire à barrer en eau calme le printemps de la relance économique. Mais en politique, les semaines sont des jours, et les brises tournent très vite à l’ouragan.