Vivre du français en Colombie-Britannique, la mission de Lily Crist

Lily Crist est à la tête de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB). Gracieuseté

[LA RENCONTRE D’ONFR]

VANCOUVER – La récente victoire de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB) en Cour d’appel fédérale a forcé le gouvernement Trudeau à retarder le dépôt de sa réforme de la Loi sur les langues officielles. Aux premières loges, Lily Crist qui est depuis quelques mois présidente de la FFCB et qui prolonge ainsi ses années d’implication dans le milieu francophone. Survol du parcours de cette Franco-Colombienne dont l’aventure commence tout d’abord à Honfleur, en France.

« Vous êtes née en France, et vous avez immigré au Canada au milieu de votre vingtaine. Qu’est-ce qui vous a poussé à partir?

En France, il y a le droit du sol et aussi le droit du sang, alors même si on a fait toute sa scolarité en France, il fallait à l’époque passer devant un juge et je me suis promis de ne pas rester en France. C’était très dur pour moi de justifier qu’on me renvoyait à la phase qu’il fallait que ça soit un juge qui décide si j’étais française. Ça m’a fait beaucoup de mal à 18 ans et ça m’a pas mal troublée et c’est à ce moment-là que j’ai décidé que je ne resterais pas.

Pourquoi le Canada et la Colombie-Britannique?

Ah, le Canada c’est une belle histoire! J’avais reçu un livre qui s’appelait une journée dans la vie du Canada et il y avait une photo de Prince Rupert et de Vancouver qui m’avait épatée… Je voulais vivre l’Ouest canadien, je voulais voir le Pacifique. Je suis restée un mois et je me suis dit qu’il était fou ces Romains, il faisait froid et c’était un milieu complètement différent. Je suis revenue quatre jours à Paris, mais je me suis dit que je devais tenter ma chance et je suis finalement revenue.

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Comment s’est passée votre arrivée dans le monde de la francophonie de la province?

Quand je suis arrivée, je me suis dit que c’était pas si facile que ça que de vivre en français en Colombie-Britannique, car je ne connaissais pas de francophones. Il n’y avait pas de réseaux sociaux ou de meet up… Les premiers francophones que j’ai rencontrés étaient des immigrants comme moi qui allaient à des formations à l’emploi ou des personnes impliquées dans la communauté. J’ai aussi remarqué qu’il y avait une forte présence de francophones qui venait du Québec et de l’Alberta, mais je remarque surtout aujourd’hui que l’immigration a changé nos communautés.

Vous dites qu’un événement majeur vous a marquée dans votre lutte pour la francophonie. Lequel?

Oui. Un jour, je suis allée au centre des impôts pas loin de chez nous et, évidemment, j’ai parlé et demandé à être servie en français et ma fille a tiré ma manche et m’a dit, « maman tu sais très bien parlé en anglais, pourquoi tu ne lui parles pas en anglais? » Ma fille de sept ans avait déjà compris que pour obtenir quelque chose plus vite, c’était en anglais que ça devait se faire. À ce moment-là, je me suis dit que si on ne faisait pas quelque chose, qu’on ne demandait pas nos droits, ça serait fini pour la future génération. Moi, ça m’a terrifiée et en temps que francophone. J’ai des droits et je veux que mon enfant comprenne que ce sont les siens aussi.

Que s’est-il passé par la suite?

J’ai décidé de porter plainte pour la première fois de ma vie au Commissariat aux langues officielles, car la personne qui m’a servie n’avait pas un français suffisant pour offrir un service.

Qu’est-ce qui vous a amenée à devenir la présidente de la FCCB?

Des gens dans la communauté m’ont aussi interpelée pour me demander de m’impliquer, car ils connaissent mon travail et le fait que j’ai fait avancer quelques dossiers au national. Je me suis présenté en me disant que si je suis choisi, c’est formidable et si je ne le suis pas, je vais quand même continuer à m’impliquer pour ma communauté. Mais je me suis dit que c’était le moment. Il y a de grands enjeux qui viennent avec la réforme de la Loi sur les langues officielles, le Plan d’action et le fait qu’on n’a toujours pas de politiques sur les services en français en Colombie-Britannique.

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On entend souvent des personnes dire que la francophonie est morte ou n’existe plus dans le reste du Canada. Que répondez-vous à ça?

J’ai eu beaucoup d’employés avec Service jeunesse et j’ai souvent recruté de jeunes Québécois qui ne s’imaginaient pas du tout qu’on pouvait travailler, vivre et s’amuser, bref avoir une vie complète en français. Je dirais à ces gens, « venez ici, voir notre communauté et voir nos jeunes dans la province ». C’est comme si on disait qu’il n’y avait pas d’anglophones au Québec. C’est une façon obtuse de voir le français à l’extérieur du Québec.

Vous avez remporté une demi-victoire dans le dossier de l’arrêt Gascon, il y a près d’une semaine. Comment voyez-vous cela quelques jours plus tard?

Je me dis qu’il faut remettre ça en contexte. Ça ramène cela à quelque chose de très précis, on a demandé à des juges le cas de ces cinq centres qui offraient des services d’aide à l’emploi. Quand on regarde ça en arrière, avec ce cas et celui de nos écoles francophones, le législateur doit arriver une réforme de la Loi sur les langues officielles qui a de l’allure. Est-ce que c’est ça que ça prend? On se bat toujours devant les tribunaux pour nos droits linguistiques pour avoir une nouvelle Loi.

La FCCB semble être habituée aux batailles juridiques, notamment avec la victoire dans le dossier de l’éducation de langue française dans la province. Est-ce fatigant de devoir aller jusqu’au plus haut niveau de la justice canadienne?

Je suis tannée. J’aimerais bien que ça soit simple et qu’on soit tous assis à la table avec des négociations rapides qui ne prennent pas des années. C’est facile de dire qu’on veut assurer la pérennité de nos communautés, mais là on parle de survivance. Il nous faut une réforme de cette loi fondamentale de nos communautés avec ce que l’on souhaite. C’est tannant de devoir se battre pour ses droits linguistiques.

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Quelle différence la modernisation de la Loi sur les langues officielles pourrait-elle faire pour un Franco-Colombien, une fois adoptée?

Cette loi permettrait à tous les francophones qui vivent à travers le pays de vivre pleinement et de s’assurer que nos générations à venir aient la même sécurité. C’est notre façon à nous de nous assurer que nos droits soient respectés et que nous puissions être nous même grâce à une loi qui nous permettrait d’évoluer sans avoir à aller devant les tribunaux pour se demander ce qui est juste.

Quels sont les enjeux pour les francophones en Colombie-Britannique?

On n’a pas de politique pour les services en français donc au niveau provincial, rien n’est assuré. On dépend du bon vouloir d’un ministre, du gouvernement et ensuite d’un autre, donc il y a beaucoup de choses à faire. Il y a l’immigration francophone, la cible de 4,4 % n’a jamais été atteinte depuis 20 ans, pour n’importe quelle personne qui travaille dans le milieu francophone à Ottawa ou Toronto, le fait de ne pas avoir une immigration francophone forte créée des défis en termes de ressources humaines. Ça n’apporte pas d’enfants francophones qui pourraient venir contribuer en français dans les écoles. Ça n’apporte pas d’étudiants francophones dans nos universités. »


LES DATES-CLÉS DE LILY CRIST

1970 : Naissance en France

1996 : Arrivée à Vancouver

2003 : Devient membre du CA du Réseau-Femmes Colombie-Britannique

2017 : Devient présidente de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne

2021 : Élue présidente de la FFCB

Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.