L'ancien juge à la Cour suprême du Canada, Michel Bastarache. Archives ONFR+

OTTAWA – L’ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache contredit indirectement la position du gouvernement Trudeau, jusqu’à présent, sur une section de son projet de loi C-35 portant sur le financement des garderies, particulièrement celles des francophones hors Québec.

Le projet de loi C-35 porte sur le financement à long terme des services en petite enfance et vient pérenniser les ententes conclues au cours des dernières années entre les gouvernements fédéraux et provinciaux. La semaine dernière, le Sénat a voté en faveur d’ajouter une mention sur les minorités linguistiques à l’article 8 du projet de loi, qui porte sur l’engagement financier à long terme du fédéral.

Dans un courriel envoyé au Comité sénatorial des affaires sociales, sciences & technologies (celui ayant étudié C-35), l’ex-juge de la Cour suprême Michel Bastarache recommandait justement aux sénateurs d’adopter un tel amendement soulignant qu’il « faut éviter les ambiguïtés et savoir distinguer entre les intentions politiques et les engagements juridiques ».

« À l’article 8, il me semble que l’intention est de garantir un financement continu pour les groupes faisant face à l’assimilation, les autochtones et les francophones hors Québec », soutient-il.

Et de poursuivre : « Le contexte est aussi important. Pour les francophones, on parle d’ententes intergouvernementales dans un domaine de juridiction provinciale. Il faut donc ajouter l’obligation de mettre dans l’entente l’obligation de financer la formation en français pour ceux-ci », avise-t-il.

Or c’est une modification au projet de loi C-35 que le gouvernement a refusée depuis son introduction en décembre 2022 l’ayant même contesté à plus d’une reprise. Lors des travaux en comité, des organismes francophones avaient soumis au gouvernement et aux partis d’opposition des amendements, mais ils n’ont pas été déposés lors des séances de l’étude article par article.

Au Sénat, le représentant du gouvernement libéral, le sénateur Marc Gold avait tranché lors des débats sur cette modification apportée par son collègue René Cormier, que « le gouvernement n’appuie pas cet amendement ».

Celui-ci avait alors relayé le point de vue de fonctionnaires qui avaient prévenu que la modification proposée causerait un risque d’exclure du financement à d’autres groupes systématiquement marginalisés, comme les enfants en situation de handicap.

« Il serait incohérent de reconnaître, à l’article 8 du projet de loi, les communautés francophones et anglophones en situation minoritaire au même titre que les provinces, les territoires et les peuples autochtones, qui sont responsables de la conception et de la prestation des programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants », avait partagé en comité sénatorial Michelle Lattimore, directrice générale du Secrétariat fédéral responsable de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants chez Emploi et Développement social Canada.

Idem pour le commissaire aux langues officielles

Michel Bastarache, ayant siégé à la Cour suprême de 1997 à 2008, n’était toutefois pas le seul à estimer que l’absence des deux communautés de langues officielles était problématique. Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge avait qualifié de « primordial » l’ajout des minorités linguistiques dans cette section du libellé.

« Une telle modification assurerait un engagement financier à long terme à l’appui de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants dans ces communautés », avait-il étalé dans un mémoire sur la mouture.

Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Archives ONFR+
Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge. Archives ONFR+

La ministre de la Famille, Jenna Sudds, a refusé de dire mardi si son gouvernement était en accord avec le Sénat ou non, estimant que les ententes actuelles allaient dans le sens de la Chambre haute.

« Cela dit, l’amendement qui a été proposé, nous faisons le travail, qu’est-ce que ça signifie, quelles sont les implications et comment cela se reflète dans les travaux déjà réalisés (jusqu’à présent) et nous aurons plus à partager bientôt », avait-elle commenté.

Les anciens juges de la Cour suprême sont libres d’exprimer leur opinion après leur règne à la plus haute cour du pays, mais il est tout de même peu commun qu’ils interviennent de quelque manière dans un processus législatif. Michel Bastarache avait notamment témoigné au Sénat lors de l’étude du projet de loi C-13, visant à moderniser la Loi sur les langues officielles.