La ministre des Collèges et Universités, Jill Dunlop. Source: compte Twitter Jill Dunlop

Le gouvernement Ford est allé contre l’expertise produite dans un rapport indépendant qu’il avait lui-même commandé et qui recommandait le financement du projet de l’Université de Sudbury.

« Le conseil conclut que l’Université de Sudbury satisfait à ses normes d’examen organisationnel et que l’établissement a la capacité organisationnelle nécessaire pour offrir des programmes d’éducation postsecondaire financés par des fonds publics », peut-on lire dans un document de la Commission d’évaluation de la qualité de l’éducation postsecondaire (CEQEP/PEQAB), obtenu par ONFR en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée.

Ce rapport a été déposé sur le bureau de la ministre des Collèges et Universités Jill Dunlop, en septembre 2022.

Quelques mois plus tard, en juin 2023, son ministère annonçait qu’il ne financerait pas le projet d’un établissement entièrement francophone. L’Université de Sudbury « ne correspond pas à la demande actuelle et aux tendances relatives aux inscriptions », était-il écrit dans une lettre adressée aux dirigeants de l’établissement.

Dans une déclaration aux médias, le ministère indiquait avoir tenu compte d’un certain nombre de facteurs pour prendre cette décision, dont « les conclusions de l’examen organisationnel de la Commission d’évaluation de la qualité de l’éducation postsecondaire ».

Cette étude était une requête de la ministre Jill Dunlop qui avait demandé en mars 2022 à l’organisme indépendant de la produire. La politicienne aurait très bien pu refuser de confier le dossier à cette commission, ce qui avait été en soi, souligné comme une victoire, par le recteur de l’établissement Serge Miville.

À la demande de Mme Dunlop, le gouvernement fédéral avait accepté d’octroyer 1,9 million de dollars à l’université pour qu’elle puisse « entreprendre une étude de ses capacités institutionnelles et organisationnelles afin de répondre aux besoins de formation des étudiants, du marché du travail et de la communauté de Sudbury », était-il indiqué dans un communiqué de presse d’Ottawa.

Université de Sudbury
Archives ONFR

C’est cette étude qui a été confiée à la CEQEP. Celle-ci a été menée par deux experts indépendants pour analyser la candidature de l’institution sudburoise, soit l’ancien président de l’Université de Moncton Jacques Paul Couturier et Phyllis Clark, l’ancienne vice-présidente de l’Université de l’Alberta. Basé sur les propos des deux experts universitaires, la CEQEP a ensuite formulé dans un rapport final sa recommandation de financement de l’Université de Sudbury à la ministre Dunlop.

Note parfaite pour l’Université de Sudbury

Le comité indépendant étale sur neuf pages les raisons qui le conduisent à conclure que l’Université de Sudbury mériterait un financement public. La demande de l’institution « satisfait ou dépasse la norme » de chacun des huit standards exigés par la commission d’évaluation.

Les standards en question portent notamment sur l’évaluation de l’organisation, sa stabilité financière, sa capacité administrative, son énoncé de mission et ses objectifs académiques, sa conduite éthique… peut-on lire dans le rapport.

Pas les mêmes critères d’évaluation, plaide Jill Dunlop

Dans une déclaration écrite, le bureau de la ministre stipule que les normes de la CEQEP n’étaient pas similaires à celles du ministère « qui a pris en considération divers autres facteurs pour en arriver à cette décision ». Le faible nombre d’étudiants à l’Université de l’Ontario français et à l’Université de Hearst ont aussi penché dans la balance.

« Le fait d’approuver et de financer un troisième établissement de langue française risquerait d’aggraver cette situation », écrit l’attachée de presse de la ministre, Liz Tuomi.

De plus, les programmes de premier cycle en sciences humaines proposés par l’Université de Sudbury auraient été trop similaires à ceux d’autres universités francophones et ne correspondaient pas à des secteurs en besoin, tels que la santé et la formation des enseignants.

« Les données du marché du travail concernant les offres de programmes témoignent de la nécessité d’une collaboration entre les établissements afin de mieux répondre aux besoins des étudiantes et étudiants dans des programmes axés sur le marché. »

Une injection de fonds provinciaux aurait été nécessaire

Dans son plan initial, l’Université de Sudbury envisageait d’accueillir ses premiers étudiants dès l’automne 2024 et prévoyait déjà l’embauche de professeurs. Selon ce plan, l’Université de Sudbury estimait qu’elle aurait acquise une stabilité du côté financier et quant à son effectif étudiant (full enrollment en anglais) à partir de 2027-2028.

À l’automne 2022, le panel d’experts citait le rapport d’un auditeur financier qui qualifiait la situation économique de l’Université de Sudbury de fragile, en raison de l’absence de « sources directes de subventions ou de frais de scolarité ». Toutefois, l’établissement a « des actifs considérables à l’interne pour s’offrir un coussin financier », en plus de compter sur du financement gouvernemental, notent les deux experts à cet effet.

La possibilité que ce coussin financier soit insuffisant, l’absence d’un financement gouvernemental, un effectif étudiant plus réduit que prévu et l’inflation sont toutefois jugés par les deux anciens acteurs du milieu universitaire, comme des facteurs de risques financiers majeurs.

Dans son rapport, le duo applaudit toutefois les alternatives présentées en cas d’un tel scénario, ajoutant que l’institution aurait « un budget réaliste et supportable » dès sa période de stabilité en 2027. « Ils ont exploré toutes les questions réalistes possibles », écrivent Jacques Paul Couturier et Phyllis Clark.

Ces derniers soulignent que des investissements gouvernementaux auraient été nécessaires entre 2022 et 2024 pour assurer le projet de l’Université de Sudbury. « Elle (l’Université de Sudbury) doit être considérée comme une ‘start-up’ dont le succès dépend de l’investissement et de la disponibilité de fonds publics, avant que les revenus des frais de scolarité ne puissent être perçus », signalent-ils.

En campagne, Mulroney soulignait l’importance de ce rapport

Lors de la campagne électorale en juin 2022, la ministre des Affaires francophones Caroline Mulroney se disait « très heureuse » de voir que le ministère avait approché la CEQEP pour procéder à cette évaluation de l’Université de Sudbury. Elle soulignait alors que ce processus était une étape importante dont « nous attendons tous la recommandation ».

« C’est une très bonne nouvelle pour les étudiants à Sudbury qui veulent que la programmation francophone reste à l’Université de Sudbury parce que l’examen de cette programmation va se faire », soutenait-elle, dans un débat électoral télévisé, à l’initiative de Radio-Canada et TFO, et portant sur les enjeux francophones.

Caroline Mulroney, ministre des Affaires francophones. Archives ONFR

Elle vantait alors le mérite de son gouvernement d’avoir jeté les bases d’un futur réseau universitaire francophone pour que « les étudiants puissent aller de l’UOF (Université de l’Ontario français), à Hearst et à Sudbury, peut-être un jour ».

Article écrit avec la collaboration de Sandra Padovani.