Grève de travailleurs en éducation à travers la province
Avec le débrayage ce vendredi des personnels de soutien affiliés au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), la plupart des écoles du système public en Ontario ont renoncé à ouvrir leurs classes, privées d’une partie de leur personnel de soutien. Le mouvement découle d’un échec des négociations pour le renouvellement de la convention collective d’une partie du personnel scolaire.
Si la grève n’implique pas les enseignants franco-ontariens, nombre d’écoles de langue française ont également décidé de fermer leurs portes ce vendredi, excepté au sein de quelques conseils scolaires tels que Viamonde, le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO) ou encore le Conseil scolaire public du Nord-Est de l’Ontario (CSPNE).
Il faut dire que le mouvement est celui d’une partie des éducateurs, bibliothécaires, concierges et autres aides-enseignants, une profession peu valorisée au plan salarial. Ils ont décidé aujourd’hui d’exprimer leur colère devant l’Assemblée législative de l’Ontario ainsi que de nombreuses permanences de députés.
À Queen’s Park, où les premiers grévistes sont arrivés très tôt et où la foule grandit d’heure en heure, on retrouve Ouerdia Tehami, une éducatrice désemparée qui réclame plus de considération du gouvernement. « Avec 30 enfants dans une classe, il n’y a pas de sécurité, pas de personnel, pas d’aide pour ces enfants chaque fois qu’on la demande. Ils sont perdus dans l’école. Je ne peux pas me préparer convenablement. Je suis vraiment déçue de l’éducation ces dernières années. »
Béatrice Kabeya, une autre éducatrice venue protester, estime pour sa part que sa profession d’éducatrice est dévalorisée. « Nous sommes vues comme du petit peuple, mais nous sommes éduqués et nous avons des droits. Nous emmener à ce point, ce n’est pas juste. On nous condamne pour quatre ans. »
Mme Tehami et Mme Kabeya font partie des 55 000 agents que représente le SCFP. La veille, leur syndicat a vu sa contre-offre rejetée par le gouvernement et la médiation rompue sine die.
Dans le même temps, à Queen’s Park, le gouvernement a fait adopter en fin de journée le projet de loi 28 formalisant une loi spéciale qui passe outre le processus de négociation et impose aux travailleurs un nouveau contrat de travail de quatre ans.
Ce vote est intervenu après une semaine chaotique sur les bancs de l’Assemblée, allant jusqu’à entrainer l’expulsion de la moitié du caucus néo-démocrate mercredi dernier.
Rarement utilisée dans l’histoire de la province et critiquée par Justin Trudeau, le premier ministre canadien, cette mesure législative rend la grève de ce vendredi illégale et coupe court à tout recours devant les tribunaux.
Ce qui n’a pas empêché un vaste mouvement de solidarité, au-delà du syndicat, à l’image de Lisa Perrotta, une enseignante retraitée. « Ces gens-là travaillent tellement fort pour un système qui ne peut pas fonctionner pas sans eux… c’est insensé qu’ils soient autant sous-payés. Je suis là pour leur donner mon appui et pour la démocratie. »
À Ottawa, les enseignants franco-ontariens solidaires
À Ottawa, les grévistes les plus téméraires se sont également déplacés très tôt en matinée, près du centre commercial Saint-Laurent. Dans le quartier de Cyrville, près de 200 personnes se sont réunies pour une marche en soutien aux travailleurs en éducation.
Des agents d’entretien, des techniciens, des informatiques, de nombreux assistants d’éducation, ainsi que des enseignants ont déambulé accompagnés des klaxons d’automobilistes et de pancartes sur lesquelles nous pouvions lire par exemple : « Je suis fier (e) secrétaire ».
Parmi les premières personnes sur place, Nicole Racine, une parente d’élève, reconnaît l’importance des travailleurs en éducation. « Je suis parent et professeure à l’Université d’Ottawa et les membres de ce syndicat, c’est la sauce secrète au bon fonctionnement d’une école », affirme-t-elle.
Des membres de l’Association des enseignantes et enseignants franco-ontariens (AEFO) sont venus apporter leurs soutiens. Une de ses représentantes, Gabrielle Lemieux, a déclaré au micro d’ONFR+ que « le droit des travailleurs est absolument essentiel. Une attaque contre le SCFP, c’est une attaque contre les enseignants francophones, anglophones et tous les autres ».
« Il faut protéger notre droit à la négociation, je trouve ça déplorable cette loi », a-t-elle ajouté.
Dans le cortège, un technicien informatique, Jocelyn Bedard, a fait part de son mécontentement : « Je suis ici pour revendiquer mes droits. Ça fait dix ans que nos salaires sont gelés, le coût de la vie a augmenté et en plus on est passé à travers une grosse pandémie. »
Les manifestants entretiennent l’espoir ici que le gouvernement abroge cette loi. « La négociation n’est pas terminée », pouvons-nous lire sur certaines pancartes. Ou encore : « Je mérite un salaire décent. »
Nathalie Drolet, elle aussi membre de l’AEFO, se dit présente en soutien aux travailleurs. « Tous les syndicats de l’éducation sont en négociation avec le gouvernement en ce moment, alors ça nous inquiète cette interdiction de faire la grève, on se demande si c’est ce qui nous attend. »
À Sudbury, les députés aux côtés des grévistes
Dans le Nord, plusieurs centaines de manifestants étaient rassemblés dans le froid le long du boulevard Barrydowne, à Sudbury, dans un concert de klaxons.
Le député de Sudbury Jamie West était également présent, deux jours après avoir été exclu du caucus à Queen’s Park tout comme France Gélinas, députée de Nickel Belt.
« On est ici aujourd’hui c’est pour dire aux gens, vous avez le droit d’être ici, le droit de parler, vous avez des droits, utilisez-les et laissez pas un intimidateur comme M. Ford vous dire que vous devez vous taire, retournez chez vous puis continuer de travailler des 40 h à 17 $ de l’heure », lance l’élue néo-démocrate avec émotion.
Conrad Roussel, préposé à l’entretien ménager, explique que beaucoup de ses collègues sont obligés d’avoir deux emplois pour survivre. Il ajoute que bien qu’on ait perdu deux ans avec la pandémie et que les enfants doivent aller à l’école, les protéger est ce qui importe le plus : « Ça va affecter tout le monde, vous voulez que vos enfants aillent dans une école où ils se sentent en sécurité, où c’est propre. »
Une autre manifestante, Stéphanie Lalonde-Robichaud, technicienne en éducation spécialisée, dit ne pas avoir peur des amendes, en raison de l’appui infaillible du syndicat. « On est dix ans en arrière de ce qu’on devrait avoir comme salaire alors que tout a augmenté », se désole de son côté Lise Orsini, présidente du Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario pour le local 614.
En venant manifester, les grévistes encourent une amende de 4 000 $. Leur syndicat? 500 000 $. Le ministre de l’Éducation a prévenu en conférence de presse hier que son gouvernement utiliserait « tous les moyens dont nous disposons pour mettre fin à la perturbation », martelant sa volonté de maintenir coûte que coûte les élèves en classe.
Joignant le geste à la parole, Stephen Lecce a saisi ce vendredi la Commission des relations de travail afin qu’elle confirme l’illégalité de la grève.
Article co-écrit par Lila Mouch, Inès Rebei et Rudy Chabannes