Justin Trudeau se sert-il des francophones hors Québec comme bouclier contre la Loi 96?

Justin Trudeau
Crédit image: Sean Gallup/Getty Images

Justin Trudeau dit s’inquiéter que la Loi 96 et la protection de la langue française au Québec « nuise » aux francophones hors Québec. Mais pour des experts juridiques, l’argument de Justin Trudeau est vide de sens juridique et a plus pour idée d’apaiser la minorité anglo-québécoise.

La semaine dernière, dans la foulée des données sur le déclin du français du recensement 2021, le premier ministre a été questionné à savoir pourquoi le gouvernement refusait de faire appliquer la Charte de la langue française aux entreprises fédérales au Québec préférant laisser le choix avec la Loi sur les langues officielles.

« Le Québec prend sa responsabilité très au sérieux de protéger la langue française au Québec, mais ce n’est pas juste au Québec que les gens parlent français à travers le pays et il faudrait qu’on s’assure que la protection de la langue française au Québec ne nuise pas à la protection de la langue française en situation minoritaire à travers le pays », avait-il dit.

Son ministre de la Justice David Lametti avait aussi fait part de ses craintes par rapport à la réforme de la Loi 101 n’écartant pas l’idée de participer à une future contestation de la Loi. Mais pour des experts, Ottawa fait fausse route en arguant que le tout pourrait nuire aux minorités francophones du pays.

« Sur le plan juridique et constitutionnel, c’est complètement dénudé de sens. La Loi 96 ne comporte que les questions qui touchent le Québec. Cette loi-là n’a de portée juridique qu’au Québec et il n’y a aucune répercussion juridique et constitutionnelle sur les autres provinces et territoires », affirme le constitutionnaliste et avocat Benoît Pelletier.

« C’est peut-être juste un bon jeu politique de se garder des portes ouvertes et envoyer de bons signaux aux minorités anglophones qu’ils ne sont pas abandonnés » François Larocque

« Au niveau juridique, je ne vois pas à quel niveau il y aurait une répercussion pour les autres communautés », soutient de son côté, l’avocat spécialiste des droits linguistiques, Michel Doucet.

Les seules appréhensions ne se trouvent pas sur le plan juridique, mais bien politique, note un autre expert juridique.

« Dans la mesure où il existerait dans une autre province des droits qui pourraient être limités à la minorité francophone hors Québec qui voudrait s’inspirer du modèle québécois. C’est peut-être là que le gouvernement s’inquiète », estime François Larocque, professeur de l’Université d’Ottawa en droits et enjeux linguistiques.

Le professeur en droit de l’Université d’Ottawa Francois Larocque. Source : Université d’Ottawa

C’est aussi l’opinion de Benoît Pelletier, mais si cette crainte s’avérait fondée, elle « serait la démonstration qu’il n’a pas de place pour la spécificité du Québec au sein du Canada ».

Des parallèles entre francophones et anglophones?

Justin Trudeau a aussi dit qu’il y avait des parallèles directs entre la protection des droits des minorités anglophones et francophones du pays. S’il arguait que les menaces sont « très différentes » pour ces deux groupes, « les principes de protection tiennent et nous allons toujours être là pour ça ».

Pour Michel Doucet, « certains droits sont similaires comme dans le cas de l’article 23 et 133 », mais il n’y a pas de « parallèles aussi étroits » comme avance Justin Trudeau.

« On ne peut pas nécessairement de façon aussi cavalière établir une relation entre la situation des anglophones du Québec et ceux des francophones à l’extérieur du Québec et le dernier recensement le démontre également », juge-t-il.

La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor.
La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor. Crédit image : Stéphane Bédard.

De plus, de tels propos du premier ministre ne trouvent pas d’échos dans la nouvelle mouture de la Loi sur les langues officielles, rappelle François Larocque. Le projet de loi C-13 de la ministre Ginette Petitpas Taylor cherche plutôt à s’aligner avec la Charte de la langue française.

« Je vois mal de quoi ces propos pourraient s’agir. C’est peut-être juste un bon jeu politique de se garder des portes ouvertes et envoyer de bons signaux aux minorités anglophones qu’ils ne sont pas abandonnés et que le fédéral est toujours là pour eux », prédit le professeur.

Ottawa a d’ailleurs reconnu plusieurs principes, notamment le fait que les Québécois forment une nation et que le français est la seule langue officielle et la langue commune du Québec.

« Dans sa propre loi qu’il veut faire adopter, il reconnaît cette asymétrie au niveau des langues officielles au Canada entre les francophones hors Québec et les anglophones du Québec », souligne Michel Doucet.

Pas la première fois

La Loi 96, adoptée à la fin mai, permet notamment l’exemption des frais de scolarité supplémentaires pour les étudiants francophones hors Québec du postsecondaire dont le programme n’est pas offert en français dans leur propre province. Il est aussi question de la « responsabilité particulière » que doit jouer la Belle Province comme rôle de premier plan au sein de la francophonie.

« Je vois ça comme un impact positif, car le plus fort sera le français au Québec, le plus projetable sera l’affirmation du français pour l’ensemble du territoire canadien de l’ensemble des provinces et territoires. C’est vraiment la force du français au Québec qui peut rejaillir et rayonner sur les autres provinces et territoires », affirme M. Pelletier, ancien ministre responsable de la Francophonie canadienne à Québec et le fondateur du Centre de la Francophonie des Amériques.

Michel Doucet se souvient que les propos de M. Trudeau étaient un « mythe » répandu à l’époque de l’adoption de la Loi 101 dans les années 1970 par le gouvernement québécois.

« Je préférerais voir le premier ministre du Canada dénoncer l’inaction des premiers ministres provinciaux vis-à-vis leurs communautés au lieu de dire que les actions qui sont prises au Québec pourraient avoir un impact sur les communautés francophones. »