Photo : ONFR / Rudy Chabannes

TORONTO – Débouté en première instance par la Cour supérieure de l’Ontario, un justiciable francophone porte sa cause en appel et demande que la province respecte ses engagements à offrir les mêmes chances de traitement des affaires qu’elles soient en français ou en anglais.

La cause d’Abdelmajid Rahmouni a été entendue ce vendredi par la Cour d’appel, plus haut tribunal de la province. Mise en délibéré, l’issue de ce combat juridique pourrait avoir des conséquences sur l’équité linguistique devant les tribunaux ontariens pour l’ensemble des justiciables francophones.

Cela fait presque quatre ans que cet un enseignant, en litige avec l’Association des enseignantes et enseignants de l’Ontario (AEFO), patiente pour que le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) traite sa plainte en français. Un délai d’attente jugé inacceptable qu’il l’a déterminé à engager un bras de fer juridique contre la province, afin de la contraindre à instaurer un quorum minimum de décideurs bilingues.

Pour obtenir une justice aussi rapide en français qu’en anglais, il suffirait que le procureur général recommande plus de juges francophones à la lieutenante-gouverneure, chargée de leur nomination, estime le plaignant. Le problème est qu’aucune loi régissant les nominations aux tribunaux décisionnels n’impose des compétences linguistiques.

Abdelmajid Rahmouni est depuis juillet 2020 en conflit avec l’AEFO dont il est membre du conseil d’administration de l’AEFO et président de l’unité locale 58. Photo : ONFR / Rudy Chabannes

Ses espoirs ont toutefois été balayés une première fois par la Cour supérieure en novembre dernier, par une motion en radiation, le juge estimant que cette requête ne relevait pas de la compétence de la Cour supérieure mais celle de la Cour divisionnaire et que sa déclaration ne reposait sur aucune cause d’action fondée.

M. Rahmouni s’est donc tourné vers la Cour d’appel pour tenter d’inverser la décision, invoquant la Loi sur les services en français, la Charte canadienne des droits et libertés, la Loi constitutionnelle de 1867 mais aussi les clauses linguistiques rattachées au Protocole d’entente engageant le Procureur général de l’Ontario et Tribunaux décisionnels Ontario (TDO, instance qui administre le TDPO).

Ce dernier prévoit que les services en français doivent être « clairement annoncés, visibles, faciles d’accès et de qualité équivalente aux services offerts en anglais ».

La partie adverse représentant le procureur général de l’Ontario a demandé de son côté une ordonnance rejetant cet appel, estimant entre autres que le juge de la motion n’a commis aucune erreur.

Actuellement, la Politique sur les services en français de TDO prévoit bien que du personnel bilingue soit assigné à une audience sur le fond lorsqu’une partie demande qu’une instance soit instruite en français. Mais dans les faits, l’avocat de M. Rahmouni, Me Pierre Lermusieaux, pointe des délais inacceptables, estimant que « le juge de motion a erré en droit » en concluant que la Cour supérieure n’était pas compétente pour entendre son action et en ne prenant pas en compte l’incapacité du TDPO à redresser les manquements au Protocole.

Me Pierre Lermusieaux, avocat défendant l’enseignant Abdelmajid Rahmouni. Photo : ONFR / Rudy Chabannes

S’il parvient à convaincre le juge, il pourrait obtenir l’obligation de la lieutenante-gouverneure en Conseil de l’Ontario de nommer et maintenir au sein du TDPO un quorum minimum de membres capables d’entendre des causes, communiquer avec les parties, considérer les éléments de preuve, et rendre des décisions entièrement en français. Il espère du même coup, contraindre le procureur général de toujours recommander à la lieutenante-gouverneure un quorum minimum de tels candidats pour nomination.

Cette obligation pourrait aboutir même si le jugement de première instance était confirmé en appel, pense Me Lermusieaux. « Dans l’hypothèse où la Cour d’appel confirme la radiation de la déclaration, il est dans l’intérêt de la justice d’autoriser sa modification pour corriger les déficiences identifiées, tel que l’a confirmé le juge de motion dans ses conclusions », plaide l’avocat dans son mémoire d’appel.