Les droits linguistiques s’appliquent aux témoins, tranche la Cour suprême

La Cour suprême du Canada. Archives ONFR+

OTTAWA –le plus haut tribunal du pays estime que les témoins, les avocats et toutes les parties impliquées dans une cause doivent pouvoir choisir la langue de leur choix, quelle que soit la procédure, devant la Cour fédérale.

BENJAMIN VACHET
bvachet@tfo.org | @BVachet

Dans une décision unanime rendue ce vendredi matin, les neuf juges de la Cour suprême du Canada ont rejeté tout compromis en matière de droits linguistiques devant les Cours fédérales.

Invité à se prononcer sur la cause de Kassem Mazraani, le plus haut tribunal du pays estime que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a violé les droits linguistiques des témoins et des parties.

M. Mazraani, un ancien employé d’Industrielle Alliance, en 2012, avait intenté un recours contre son employeur afin de faire valoir son admissibilité à l’assurance-emploi. Une demande contestée par Industrielle Alliance au motif que M. Mazraani était un travailleur autonome.

Après avoir été défait par la Commission de l’assurance-emploi du Canada, M. Mazraani avait décidé de porter la cause devant la Cour canadienne de l’impôt qui lui avait finalement donné raison.

Audience en anglais

Lors d’une audience informelle – une procédure prévue pour épargner du temps et de l’argent aux parties -, le juge avait demandé à l’avocat d’Industrielle Alliance et aux témoins de s’adresser à la cour en anglais. Et ce, même si ces derniers préféraient le faire en français, afin d’accélérer la procédure et d’éviter un report, M. Mazraani ne comprenant pas la langue de Molière. Malgré sa demande, ce dernier n’avait pas non plus bénéficié d’un interprète.

À la suite de sa défaite, Industrielle Alliance avait porté la cause en appel, jugeant que les droits linguistiques de son avocat et de ses témoins n’avaient pas été respectés, puisque ceux-ci voulaient s’exprimer en français.

Pas de compromis

Selon les juges, les droits linguistiques des témoins et de l’avocat ont été violés, tout comme ceux de M. Mazraani, même si la procédure simplifiée de la Cour canadienne de l’impôt ne comportait aucune règle concernant les droits linguistiques.

« Le droit à l’accès à la justice dans la langue officielle de son choix devant n’importe quelle institution fédérale existe déjà, que ce soit dans la Constitution canadienne, la Charte canadienne des droits et libertés ou encore, la Loi sur les langues officielles. Aujourd’hui, la Cour suprême du Canada le confirme pour n’importe quelle procédure, qu’elle soit formelle ou informelle », commente François Larocque, avocat-conseil chez Juristes Power, qui est intervenu dans cette cause.

Pour M. Larocque, il s’agit d’une victoire majeure en matière de droits linguistiques.

« C’est un jugement qui rappelle l’importance des droits linguistiques à l’échelle du pays, d’est en ouest, et qui va contribuer à la jurisprudence. Depuis l’affaire Beaulac, en 1999, la Cour suprême ne s’était plus prononcée sur cette question. Aujourd’hui, elle le fait sur le déroulement d’une instance civile et donne encore davantage de précisions. Elle clarifie la procédure et les obligations des juges qui vont devoir s’assurer de manière proactives que tous les participants d’une instance peuvent s’exprimer dans la langue de leur choix. On rappelle aussi que ça reste un choix personnel, pas une question de langue maternelle. »

Protéger les droits

Dans une décision cosignée par les juges Clément Gascon et Suzanne Côté, la Cour suprême du Canada considère que « le juge devait quand même veiller à la protection des droits linguistiques des personnes devant lui, particulièrement des personnes comme M. Mazraani qui n’était pas représenté par un avocat ».


« Le juge a eu tort de demander à qui que ce soit de parler dans une langue autre que celle souhaitée » – jugement de la Cour suprême du Canada


Et de poursuivre : « Dans le présent cas, les violations reprochées ont clairement une incidence sur la procédure et la décision ».

Le plus haut tribunal du pays souligne que « la violation des droits linguistiques d’une personne peut être perçue comme un signe de partialité à l’encontre d’un groupe linguistique ». Les neuf juges ajoutent qu’une « telle situation réduit la confiance du public envers les tribunaux, ce qui explique entre autres pourquoi il est si important que les juges protègent ces droits ».

Jugement unanime

Le Commissariat aux langues officielles du Canada, qui a agi à titre d’intervenant dans la cause Mazraani, a salué la décision de la Cour suprême du Canada.

« C’était essentiel pour moi que la Cour suprême du Canada reconnaisse le droit fondamental de chaque personne de choisir librement la langue officielle dans laquelle elle veut s’exprimer. Je suis heureux que la décision unanime de la Cour affirme très clairement l’importance de permettre un véritable choix de s’exprimer en français ou en anglais », a affirmé le commissaire dans un communiqué. « L’importance de cette victoire me rappelle qu’en matière de droits linguistiques, il nous faut toujours demeurer vigilants afin de protéger nos acquis et nos institutions pour véritablement permettre l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada. Je rappelle au gouvernement fédéral ainsi qu’aux provinces et territoires qu’ils ont un rôle essentiel à jouer dans la protection de ces communautés. »

L’unanimité du jugement est également une autre victoire, soulignée par M. Larocque.

« Dans l’arrêt Beaulac, il y avait dissidence. Ici, les neuf nouveaux juges sont unanimes. Ça confirme et complète l’arrêt Beaulac! De plus, les juges parlent de la réparation qui s’impose dans un tel cas de violation. »

Les juges de la Cour suprême du Canada ordonnent en effet la tenue d’une nouvelle audience dans un cas de violation.