Dernière ligne droite vers la réforme de la Loi sur les langues officielles
OTTAWA – Les travaux en comité en vue de réformer la Loi sur les langues officielles commencent cette semaine à Ottawa, ce qui pourrait signaler la veille des dernières étapes avant l’adoption du projet de loi C-13 déposé au début du mois par le gouvernement Trudeau.
Le projet de loi devrait être déposé en deuxième lecture dans les prochains jours pour ainsi pouvoir être évalué lors des comités. La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor doit d’ailleurs comparaître devant les sénateurs et parlementaires au cours de la semaine.
« Son point de départ va être de défendre son projet », croit le politologue Rémi Léger.
« Si elle présente ce projet-là, c’est qu’elle trouve qu’il est bon, convaincant et met de l’avant les mesures nécessaires, mais tout le monde sait que c’est un gouvernement minoritaire. Tout le monde va vouloir mettre son grain de sel (…). Dans les prochaines semaines, elle va devoir faire des concessions. S’il y a des modifications, on est plus dans les nuances que dans les gros morceaux. Je ne m’attends pas à ce que la ministre sorte un lapin de son chapeau », estime le professeur de l’Université Simon-Fraser à Vancouver.
Pour le député conservateur Joël Godin, l’ajout de clauses linguistiques et la désignation du Conseil du Trésor comme unique agence chargée de coordonner et appliquer la loi viendraient peser lourd dans la balance pour un éventuel appui conservateur.
« On ne peut pas être contre la vertu de se donner des outils pour améliorer la situation, mais il faut qu’elle (Ginette Petitpas Taylor) soit ouverte à des amendements, car ce projet de loi là, on ne peut pas l’appuyer dans l’état actuel des choses. Moi, je lui tends la main, mais il faut qu’elle soit ouverte à de nombreux amendements », soutient le porte-parole aux Langues officielles dans l’opposition officielle.
« On a une meilleure loi, mais l’enjeu est de savoir si elle va être bien mise en œuvre. C’est là le véritable test du gouvernement » – Linda Cardinal, professeure à l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa
Pour Linda Cardinal, professeure émérite à l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa, les néo-démocrates pourraient tracer un chemin simple pour la ministre Petitpas Taylor.
« Je ne vois pas comment ils pourraient s’opposer (au projet de loi). Niki Ashton n’a pas arrêté de souhaiter l’adoption de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Je ne vois pas pourquoi tout d’un coup, le projet ne serait plus satisfaisant. Déjà qu’on dit que les langues officielles ne font pas partie de l’ADN du NPD, ils ne voudront pas être vus comme des gens qui n’ont pas à cœur les langues officielles. »
La porte-parole aux langues officielles chez le Nouveau Parti démocraitque (NPD) aimerait voir quelques amendements être apportés dans les prochaines semaines, notamment au comité.
« On appuie les propos de la Fédédation des communautés francophones et acadienne (FCFA) notamment les recommandations faites sur plusieurs sujets comme de faire du Conseil du Trésor l’agence centrale, les clauses linguistiques dans les accords fédéraux-provinciaux et la question de renforcer l’immigration, il y a plusieurs amendements qu’on aimerait voir ou appuyer en comité », soutient Niki Ashton.
Un dossier rapide?
Pour la politologue, le contexte actuel avec l’Ukraine et le fait qu’il existe une certaine saturation après plusieurs années de débats a un impact.
« Les demandes en ce moment ne sont peut-être pas des demandes qui appartiennent à une loi. On veut une cible en immigration, c’est dans la loi maintenant et là on veut un chiffre. Ça n’appartient pas à la loi, c’est du travail administratif… On a une meilleure loi, mais l’enjeu est de savoir si elle va être bien mise en œuvre. C’est là le véritable test du gouvernement à mon avis », souligne Linda Cardinal.
Cette saturation devrait accélérer le projet de loi au profit d’autres dossiers en francophonie canadienne, pense la professeure de l’Université d’Ottawa.
« Cette question-là a été discutée sous toutes ses coutures. Le nouvel enjeu qui s’ajoute et qui crée de la pression pour qu’on aille de l’avant est toute la question de l’immigration, notamment des étudiants africains francophones qui veulent venir étudier au Canada. On a vu qu’il y avait des biais systémiques contre eux (…) et qu’il y a un manque de cohérence important dans la politique gouvernementale en immigration. J’ai l’impression que c’est là-dessus que les gens veulent travailler. Même chose avec la question du postsecondaire en français. »
Le Bloc rejoint les critiques de Québec
La semaine passée, la ministre des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Sonia Lebel, a attaqué la réforme du fédéral. « Le Québec n’a pas besoin d’Ottawa pour s’occuper de la question de la langue française sur le territoire québécois », a-t-elle fait valoir dans une entrevue accordée au Journal de Montréal.
Une position rejointe par le Bloc Québécois et son député Mario Beaulieu, qui réclame aux libéraux de reculer.
« Ça rejoint ce qu’on a dit quand C-13 est sorti. C’est un recul pour le Québec parce que ça rend l’application de la Loi 101 optionnelle pour les entreprises fédérales. Les entreprises vont avoir le choix entre la Loi 101 ou la Loi sur les langues officielles, normalement ils vont choisir la loi la moins contraignante, donc la loi fédérale. »
Pour Rémi Léger, la sortie de la politicienne québécoise était électoraliste, à quelques mois du scrutin en octobre dans la Belle Province. Il rappelle toutefois que la composante électorale retombe aussi dans le projet de loi C-13 pour les partis fédéraux.
« Pour les partis, c’est le Québec qui compte parce que ça représente 125 sièges tandis que la francophonie hors Québec représente environ une douzaine de sièges. Les positions que prennent les partis vont en premier être en fonction de comment les Québécois et Québécoises vont réagir à la prise de position de leur parti. Les partis sont à l’écoute des francophones hors Québec, mais il reste qu’ils n’ont pas 125 sièges. »
Toutefois, rappelle-t-il, les libéraux possèdent une bonne part de sièges dans les communautés anglophones du Québec, ce qui vient jouer dans l’équation à l’intérieur même du parti.
« On reconnaît qu’on n’a pas atteint l’égalité entre les deux langues et qu’on vise l’égalité. En visant l’égalité, ça veut dire qu’on doit en faire plus pour le français que l’anglais tout en appuyant la communauté anglophone. Elle (Ginette Petitpas Taylor) est prise entre l’arbre et l’écorce mais, cela dit, on peut faire les deux. »