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TORONTO – En 2022, le gouvernement ontarien lançait un grand plan Logement avec pour objectif 1,5 million de nouvelles unités à travers la province d’ici 2031. Deux ans plus tard, dans les municipalités du Nord, on se pose de sérieuses questions car rien n’a vraiment changé sur le terrain.

Quel effet le plan provincial a-t-il eu jusqu’à présent dans votre ville? « Aucun ». La mairesse de Nipissing Ouest, Kathleen Rochon, résume en un mot le statu quo sur la crise du logement, déplorant que les investissements réalisés jusqu’à présent aient privilégié « Toronto, London, Hamilton, Ottawa, mais pas les villes rurales et encore moins le Nord ».

À la tête d’une municipalité composée à 60 % de francophones, elle est venue à la conférence annuelle de l’Association des municipalités rurales de l’Ontario (ROMA), pour trouver des solutions, partager ses défis et connaître ceux de ses homologues. Depuis dimanche et jusqu’à mardi, des milliers d’élus locaux, comme elle, sont rassemblés à Toronto.

Kathleen Rochon, mairesse de Nipissing Ouest. Crédit image : Rudy Chabannes

Dans les corridors et salles de conférence, le constat est identique : « Rien n’a bougé », assure Roger Sigouin. Le maire de Hearst « essaye de trouver des fonds, par tous les moyens, pour inverser la tendance, mais les gouvernements font la sourde oreille. On entend de belles paroles, mais rien ne se produit », dit-il, renvoyant dos à dos provincial et fédéral.

Tandis que la province entame la troisième année de son plan, tout indique qu’elle n’a pas atteint son rythme de croisière pour espérer atteindre sa cible de 1,5 million d’unités additionnelles, d’ici les six prochaines années. Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement, seulement 178 000 mises en construction ont été lancées en 2022 et 2023, avec un ralentissement, la deuxième année, et des taux d’intérêt de plus en plus dissuasifs.

Afin de donner un coup d’accélérateur à la construction, l’Ontario s’est engagé, l’été dernier, à débloquer un fonds de 1,2 milliard de dollars sur trois ans. À la clé : jusqu’à 400 millions de dollars par année aux municipalités s’engageant par écrit sur une cible en matière de logement d’ici 2031, 10 % du financement étant réservé aux collectivités de petite taille, rurales et du Nord. En déplacement ce lundi au congrès de la ROMA, le premier ministre a déclaré que les candidatures seraient bientôt acceptées, sans autres détails sur l’échéancier.

Roger Sigouin, maire de Hearst. Crédit image : Rudy Chabannes

« On est toujours en attente de plus de détails sur ces 10 % », réagit Michelle Boileau, mairesse de Timmins. « On se prépare à prendre connaissance des lignes directrices pour établir nos cibles. On attend toujours de savoir quelle sorte d’appui on aura. » L’élue du Nord a demandé une rencontre avec le ministère du Logement pour « nous orienter dans la bonne direction ».

Depuis deux ans, les instances de la ROMA réclament du gouvernement Ford « la flexibilité et l’autorité nécessaires » pour accroître leur offre, notamment en déléguant aux municipalités plus de pouvoir d’approbation sur certains projets, en accordant des incitatifs aux promoteurs et en accélérant les processus de planification.

Décrocher des fonds, convaincre les promoteurs

« Ce n’est pas qu’un problème de fonds, prévient Mme Rochon. On a aussi du mal à faire venir des contracteurs et des développeurs ayant une véritable expérience dans le multirésidentiel, car ils sont mobilisés pour la plupart sur la densification des grandes villes. » L’élue décrit un monde à l’envers dans lequel les promoteurs se bousculent dans les villes du Sud pour bâtir sur de rares parcelles inabordables et, à l’opposé, un Nord ontarien où les terrains pullulent, mais ne bénéficient pas d’assez de compétences pour les faire fructifier.

« On manque de logement partout en Ontario, ma ville n’échappe pas à la règle, soupire Éric Coté, maire de Moonbeam. On manque de logements additionnels, alors on essaye de développer des projets à long terme. On est choyé d’avoir plusieurs attraits comme le lac, les sentiers pédestres, l’école, mais il n’y a pas assez de logements, c’est certain. »

Eric Coté, maire de Moonbeam. Crédit image : Rudy Chabannes

Résultat : un développement économique parfois moins ambitieux que prévu, « beaucoup de frustration et un sentiment d’injustice, car on aimerait accueillir les gens à la hauteur de ce qu’ils sont en droit d’attendre », regrette M. Sigouin, toujours en quête de faire grossir sa communauté, notamment par l’immigration.

« C’est injuste d’attirer des immigrants au Canada et de ne pas être capable de leur donner un toit »
— Roger Sigouin, maire de Hearst

Alors que le gouvernement a rehaussé sa cible et adopté sa nouvelle politique en immigration francophone, le premier magistrat de Hearst trouve « injuste d’attirer des immigrants au Canada et de ne pas être capable de leur donner un toit. C’est pourtant du monde intelligent qui contribue à l’essor économique de la ville. On est oublié encore une fois. On se sent coupable de pas pouvoir les desservir ni de les retenir ».

Il relate que, faute de place, sur les 40 étudiants reçus cette année, 35 ont dû s’installer à l’extérieur de sa ville, du côté de Kapuskasing et Timmins.

Immigration et étudiants internationaux : un gros besoin

Mme Boileau est préoccupée, en outre, par une baisse prévisible d’étudiants, après l’augmentation des planchers monétaires du fédéral pour venir étudier au pays, et par le manque de capacité pour les accueillir dans le Nord. « On mise beaucoup sur les étudiants internationaux. Quand leur nombre augmente, c’est à l’avantage de notre communauté pour combler ensuite des postes vacants. Avec la population actuelle, on doit donc être en mesure de maintenir l’offre de logement. »

Peu de temps après notre entrevue, Ottawa a annoncé, ce lundi, un plafonnement du nombre d’étudiants internationaux, à compter de l’automne prochain. Conséquence pour l’Ontario : deux fois moins d’étudiants étrangers.

« Je comprends la stratégie gouvernementale de restreindre la venue d’étudiants internationaux; ce n’est pas évident, convient Éric Côté. Je pense néanmoins qu’il faut continuer de les accueillir, mais ça doit venir avec des infrastructures et des fonds pour que les municipalités soient en mesure de développer des services et du logement. »

Michelle Boileau, mairesse de Timmins. Crédit image : Rudy Chabannes

En matière d’immigration, la mairesse de Timmins se dit encouragée par l’annonce d’ajout de communautés francophones accueillantes, espérant en ajouter une dans le Nord, après celle du Grand Sudbury. D’où l’importance dans ce laps de temps d’accroître le logement, d’autant que le sans-abrisme aussi réclame des toits. « Ça nous prend le stock que nous avons. On doit aussi loger les travailleurs de la foresterie et du secteur minier pour assurer le succès de nos grosses industries. »

« Nous voulons plus de logements et plus d’immigrants », martèle Mme Rochon. « Les efforts gouvernementaux en matière d’immigration sont louables, mais on a besoin que les gens ne s’installent pas que dans les régions de Toronto et Ottawa. On veut qu’ils rejoignent nos communautés rurales. Si tu es francophone, tu peux vivre, travailler, avoir des services et scolariser tes enfants en français. »