Un regard sobre sur la sortie de crise à la SANB
[CHRONIQUE]
Cela fait un certain temps que je voulais m’exprimer sur la crise qui secoue la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB). Mais c’est finalement la publication, le 10 mars dernier, du rapport du Groupe de travail sur la gouvernance de la SANB qui m’incite à me mouiller.
REMI LÉGER
Chroniqueur invité
@ReLeger
J’ai quitté mon pays, l’Acadie, il y a plus de dix ans. Depuis, je suis ses avancées et ses obstacles en discutant avec des amis et des collègues, ainsi qu’en consommant l’actualité sur le Web et dans les médias sociaux. Sans avoir accès à la quotidienneté des débats qui traversent la société ou les communautés, je me considère néanmoins comme un observateur attentif des enjeux acadiens.
Le rapport soumis il y a quelques semaines émane d’un contexte bien précis : il vise une sortie à la crise qui sévit à la SANB depuis l’été dernier. Les recommandations émises seront discutées lors d’une Journée de réflexion prévue le 2 avril prochain.
Une déception
Pour l’essentiel, j’estime que le Groupe de travail fait fausse route en recommandant à la SANB de mettre tous ses œufs dans le panier de la participation citoyenne. Pour moi, le mode de gouvernance proposé contribuera à distancer davantage la SANB des autres organismes acadiens, voire à la vider de son poids politique.
Le Groupe de travail estime que la SANB doit avoir pour mandat de « participer aux efforts de concertation » et non pas de « faciliter la concertation », comme c’est le cas présentement. Cela n’est pas qu’une simple question de sémantique.
Depuis une trentaine d’années, la SANB est un organisme de mise en relation. Son mandat est d’intervenir auprès des pouvoirs publics, mais aussi de rassembler les acteurs, autant les citoyens que les organismes acadiens. Ce mandat remonte au moins à la publication de Pour un nouveau contrat social, en 1984.
En 2008, la mise en relation s’est traduite par la création d’une gouvernance à deux têtes : le Forum des organismes et le Forum citoyen. D’un point de vue formel, la SANB puisait désormais sa légitimité auprès des citoyens et des organismes acadiens.
En pratique cependant, ce mode de gouvernance n’a pas réussi à s’imposer; il serait même à l’origine de la crise qui secoue l’organisme. C’est à la lumière de son échec que le Groupe de travail recommande que la SANB abandonne la concertation des organismes et se concentre uniquement sur la participation citoyenne.
Soyons clairs : le rapprochement avec la population est louable, voire indispensable. Nul doute que les organismes communautaires doivent travailler sur cette question. Cependant, le modèle proposé par le Groupe de travail soulève deux dangers.
Dans un premier temps, son rôle de porte-parole risque de prendre un dur coup. À mon sens, la mise en relation des organismes acadiens procure à la SANB une large part de son poids et de sa légitimité politique. La concertation des organismes donne un élan, mais aussi une pesanteur à son action et à ses revendications. Sans l’aval du reste des organismes acadiens, la SANB ne sera plus que l’ombre d’elle-même.
Dans un deuxième temps, la SANB doit bien appréhender les tendances lourdes avant de jouer son avenir sur la participation citoyenne. Il faut savoir que les efforts de la SANB lors de la dernière décennie n’ont pas porté leurs fruits : pas d’achalandage dans les assemblées annuelles, les sections locales ne fonctionnent pas, bref, l’enthousiasme est loin d’être au rendez-vous. De plus, le désintérêt et le désengagement sont des défis constants en francophonie canadienne et ailleurs depuis une vingtaine d’années.
Et si la SANB devait échouer dans son rapprochement avec les citoyens? Pour moi, c’est simple : elle sera désuète, « bye bye la visite ». Fonder sa légitimité uniquement sur la participation citoyenne exige que les citoyens, qu’une masse critique des citoyens, soient au rendez-vous.
Un souhait
Selon ma lecture, la SANB, et plus globalement le monde associatif acadien, sont dans un contexte de mutations constantes depuis la Convention de la société acadienne du Nouveau-Brunswick, en 2004. On pourrait même faire valoir que les mutations remontent à la Convention d’orientation nationale des Acadiens, en 1979.
Le rapport publié il y a quelques semaines est donc l’épisode le plus récent d’un drame qui peine à aboutir.
Mon souhait ultime est que l’Acadie agisse davantage comme un peuple et non pas comme une communauté de langue officielle en situation minoritaire, pour reprendre la langue de bois du gouvernement fédéral. La notion du peuple acadien doit être la lentille sous laquelle sont analysés les enjeux de société et les initiatives gouvernementales et communautaires.
Dans cette optique, la SANB renouvelée ou non est-elle le meilleur véhicule pour réaliser les ambitions du peuple acadien? Ou plus globalement, l’Acadie a-t-elle les moyens de ses ambitions?
J’en conviens que ce sont des questions qui vont bien au-delà du mandat du Groupe de travail. Cependant, pour faire du chemin, pour avancer, il faut aussi savoir poser les bonnes questions.
Rémi Léger est professeur en sciences politiques à l’Université Simon Fraser, à Vancouver.
Note : Les opinions exprimées dans les chroniques publiées sur #ONfr n’engagent que leurs auteur(e)s et ne sauraient refléter la position de #ONfr et du Groupe Média TFO.