Loi sur les langues officielles : un engagement mais aucune date
OTTAWA – Les langues officielles se sont taillé une place dans le discours du Trône lu, ce mercredi, par la gouverneure générale Julie Payette. Le gouvernement de Justin Trudeau s’y engage à « renforcer » la Loi, mais ne parle plus de modernisation ni ne fixe aucun échéancier.
La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada espérait un message clair de la part de M. Trudeau. Neuf mois après avoir occulté les langues officielles de son premier discours de second mandat, le premier ministre a, semble-t-il, entendu le message.
Parmi les quatre piliers sur lesquels son gouvernement compte s’appuyer pour lutter contre la COVID-19 et rebâtir le pays de l’après-pandémie, les troupes libérales citent les valeurs qui font le Canada. Et parmi elles : la célébration des deux langues officielles.
« Je suis agréablement surpris, car je ne m’attendais pas à voir les langues officielles dans ce discours, surtout après la sortie de François Legault [le premier ministre du Québec souhaite que la Loi 101 s’applique aux entreprises de juridiction fédérale dans la province], à laquelle M. Trudeau avait indiqué que la priorité était d’agir sur la pandémie », note le politologue à l’Université d’Ottawa, Martin Normand.
« Nos deux langues officielles sont indissociables du patrimoine de notre pays. La défense des droits des minorités francophones à l’extérieur du Québec et la défense des droits de la minorité anglophone au Québec sont une priorité », peut-on lire dans le discours du Trône.
Une reconnaissance importante
Mais les libéraux vont même encore plus loin, en reconnaissent la situation particulière du français.
« Il y a près de huit millions de francophones au Canada dans un océan de plus de 30 millions d’habitants principalement anglophones. Le gouvernement a donc la responsabilité de protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec. »
« C’est significatif et je suis surpris que le gouvernement soit allé jusque-là. Il énonce clairement que c’est le français qui a besoin d’être appuyé. Je suis curieux de voir comment cela se traduira », se questionne M. Normand.
Renforcer ou moderniser?
Pour y parvenir, le gouvernement s’engage « à renforcer » la Loi sur les langues officielles « en tenant compte de la réalité particulière du français ».
« Nous sommes très heureux que le gouvernement signale son intention de « renforcer la Loi en tenant compte de la situation particulière du français. C’est très positif », souligne le vice-président de la FCFA, Patrick Naud.
Mais M. Naud, comme le sénateur acadien René Cormier, remarque le choix des mots du gouvernement. Après avoir promis de moderniser la Loi, ce dernier parle seulement désormais de « la renforcer ».
« Il est impératif de moderniser la Loi sur les langues officielles, pas juste de la renforcer. C’est un instrument de notre vivre ensemble », insiste le sénateur.
Les troupes de M. Trudeau auraient-elles revu leurs ambitions à la baisse?
« C’est peut-être un compromis que propose le gouvernement », suggère M. Normand. « On a rarement vu un discours du Trône aussi long et détaillé. Mettre en place toutes ces mesures va prendre du temps, d’autant qu’on parle encore de possibles élections au printemps. Évidemment, certains risquent d’être déçus, mais il y a beaucoup de besoins exprimés par la communauté francophone auxquels pourraient répondre des modifications dans les règlements d’application. »
Le politologue reconnaît toutefois que des demandes comme le bilinguisme obligatoire des juges à la Cour suprême du Canada ou la mise en place d’un tribunal administratif pourraient du même coup disparaître.
Alors que son parti a d’ores et déjà annoncé qu’il voterait contre le discours du Trône, le nouveau porte-parole conservateur en matière de langues officielles, Alain Rayes, met en garde.
« Si le gouvernement tente de passer par les règlements, ce serait une erreur. Il est important que les modifications apportées à la Loi soient décidées en accord avec les parlementaires à la Chambre des communes pour qu’elles perdurent. »
Le sénateur Cormier, qui a présidé le comité sénatorial des langues officielles lorsque celui-ci travaillait sur son rapport sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, estime que le gouvernement a tout ce qu’il faut pour agir.
« Je comprends le contexte de la COVID-19. Peut-être que le gouvernement souhaite aussi diminuer les attentes. Mais la modernisation n’est pas un luxe et il dispose de tous les rapports, mémoires et consultations pour le faire », dit-il, souhaitant s’entretenir rapidement avec le gouvernement pour en savoir davantage.
La FCFA, qui a proposé son propre projet de modernisation de la Loi, ne veut pas spéculer sur les intentions du gouvernement, campant un « optimisme réservé ».
« Nous allons travailler avec eux. On préconise toujours une modernisation complète », souligne son vice-président.
Aucune date
Autre ombre au tableau, l’absence d’échéancier, alors que le gouvernement n’hésite pas à fixer des dates précises dans d’autres dossiers.
« Le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, a promis un projet de loi sur les géants du web avant les fêtes. Si c’est possible pour ça, on ne voit pas pourquoi ça ne le serait pas pour la Loi sur les langues officielles », remarque M. Naud.
« Ça ne prenait pas grand-chose de mettre une date! Ça fait deux élections que les libéraux en parlent, la demande n’est pas nouvelle et il y a un certain consensus. Les paroles, c’est bien beau, mais quand il s’agit de poser des gestes, il n’y a rien », fustige M. Rayes.
Mais outre ce dossier, M. Normand invite les différents acteurs francophones à surveiller de près les prochaines décisions du gouvernement.
« On a 18 pages de mesures dont beaucoup ont une dimension linguistique, comme sur l’immigration, les services de garde, le plan d’action pour les femmes… Il faudra veiller à ce qu’elles aient une lentille francophone. »
Cet article a été mis à jour à 17h51