Ce que la COVID-19 a changé pour les francophones
La pandémie de COVID-19 a ralenti bien des dossiers prioritaires pour les francophones, en 2020. Mais elle a aussi permis de mettre le doigt sur des problèmes récurrents et de régler certains irritants. Tour d’horizon non exhaustif de ce que le coronavirus a changé pour les francophones.
Des conférences de presse finalement bilingues
Il aura fallu plusieurs semaines pour régler le dossier. Mais un mois après le début de la pandémie au Canada, la province de l’Ontario a finalement corrigé le tir.
Souvent représenté par le premier ministre Doug Ford, accompagné de ministres unilingues, le gouvernement progressiste-conservateur, sous l’impulsion de la ministre des Affaires francophones Caroline Mulroney, a fini par faire traduire simultanément en français sur sa chaîne YouTube ses points de presse quotidiens sur l’évolution de la COVID-19.
Plusieurs élus libéraux avaient formulé une telle demande, même si la Loi sur les services en français ne l’oblige pas. Pour l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), qui a été active en coulisses dans ce dossier, cet exemple prouve le besoin de moderniser la Loi sur les services en français. Car malgré les correctifs apportés, il a souvent été bien difficile d’avoir toute l’information sur la COVID-19 et les mesures sanitaires aussi vite en français qu’en anglais au niveau provincial.
Avoir plus de postes désignés
Au fédéral, et malgré la Loi sur les langues officielles, le tableau n’a guère été plus reluisant. Le premier ministre Justin Trudeau s’est lui-même fait taper sur les doigts à plusieurs reprises pour des conférences de presse majoritairement en anglais au début de la pandémie, tout comme certains messages unilingues sur les réseaux sociaux.
S’il a progressivement tenu compte de ces critiques, la pandémie a aussi mis en lumière un poste méconnu jusqu’ici, mais ô combien essentiel en temps de crise.
La docteure Theresa Tam a beau parler un peu le français, le niveau de l’administratrice en chef de la santé publique du Canada dans la langue de Molière n’a pas été suffisant pour lui permettre de livrer ses messages aux francophones.
Lors de ses conférences de presse, elle a dû faire appel à son adjoint, le docteur Howard Njoo. Nommée le 26 juin 2017, les compétences de la Dre Tam ne sont pas remises en compte, mais pour un poste dont le rôle est de donner des conseils à la ministre de la Santé, d’appuyer et de conseiller la présidente de l’Agence de la santé publique du Canada et de communiquer avec les Canadiens sur la santé publique, y compris en cas d’urgence, la situation a soulevé des interrogations.
Au point que devant le comité permanent des langues officielles, la politologue au Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard, a suggéré que le poste soit désigné bilingue, un peu comme l’ont été dix postes-clés au niveau fédéral via le projet de loi de la néo-démocrate Alexandrine Latendresse, en 2013.
La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada appuie l’idée. Pour l’heure, le poste d’administrateur en chef de la santé publique du Canada ne comporte aucune obligation linguistique.
Pas besoin du français en cas d’urgence
Ottawa s’est également distingué de la mauvaise manière au début de la pandémie en autorisant l’étiquetage unilingue sur les étiquettes des contenants de désinfectants et antiseptiques vendus au Canada, au début de la pandémie, puis sur certains produits d’entretien. Une décision justifiée par l’urgence sanitaire, selon le premier ministre, Justin Trudeau.
Mais face à la grogne, Santé Canada a fait partiellement marche arrière. Pourtant, les problèmes demeurent et les mesures correctives n’ont pas vraiment eu d’effet.
Un bilan à faire
Autant dire qu’aussi bien en Ontario qu’au niveau fédéral, la pandémie a soulevé plusieurs problèmes quant au respect des minorités francophones.
Une réalité qui n’a pas échappé au commissaire aux langues officielles du Canada qui a publié un rapport édifiant, fin octobre, sur le respect des droits linguistiques en situation de crise. Le comité permanent des langues officielles se penche, lui aussi, actuellement sur cette question.
À Toronto, c’est la commissaire aux services en français, Kelly Burke, qui a dressé un portrait sans concessions de l’action du gouvernement. Au total, elle a reçu 431 plaintes, dont la majorité était liée à la communication du gouvernement Ford dans les deux langues. Mme Burke a pointé du doigt le manque de planification du gouvernement ontarien qui pourrait se servir de l’expérience de la pandémie pour améliorer la situation.
De l’aide pour les organismes
Dans ce portrait plutôt sombre, s’ajoutent les effets de la pandémie sur les organismes franco-ontariens. En mai, l’AFO estimait qu’un tiers d’entre eux ne pourraient pas tenir plus de six mois. Depuis, l’Ontario a renouvelé son enveloppe d’un million de dollars via le Programme d’appui à la francophonie ontarienne, a créé un « Fonds de secours pour les organismes francophones sans but lucratif suite à la COVID-19 » d’un million de dollars, alors que dans le même temps, Ottawa a débloqué 4,5 millions de dollars d’aide.
Toujours est-il que, selon les estimations de l’organisme porte-parole des Franco-Ontariens, près de 10 % des organismes francophones étaient encore menacés de disparaître avant la fin de l’année.
Des occasions ratées
Enfin, difficile d’oublier que la pandémie a eu un impact important sur l’agenda politique des francophones.
Le très attendu Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes, qui devait avoir lieu à Québec, en juin, n’a pu se tenir et le dossier de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, comme celui sur la Loi sur les services en français, n’a pas avancé malgré l’important travail déjà réalisé en amont.
De quoi faire craindre, à l’échelle fédérale, que les élections annoncées avec insistance pour le printemps ne viennent encore repousser la révision d’une loi dont la dernière refonte majeure date d’il y a plus de 30 ans.