Denise Lemire cumule pas moins de 40 années d'expertises dans la communauté francophone de l'Ontario. Crédit image : Lila Mouch

OTTAWA – Denise Lemire travaille au sein de la communauté francophone d’Ottawa et sur la scène nationale depuis plus de 40 ans. Très impliquée au sein de la Fédération des aînés et des retraités francophones de l’Ontario (FARFO) et de l’AFO, l’engagement communautaire est pour elle une nécessité. En tant que chercheure et sociologue, les sujets tels que le féminisme, les soins de santé pour les personnes âgées, mais aussi l’éducation et le bénévolat sous toutes ses formes, sont des causes qui lui tiennent à cœur. Depuis quelques années, elle s’attaque à un gros dossier : la maltraitance des aînés.

«  Vous avez plusieurs casquettes au sein de la communauté francophone, à la fois chercheure et consultante, vous avez été présidente d’organismes, membre de conseils d’administration et surtout bénévole communautaire. Qu’est-ce qui vous anime dans ces rôles ?

En fait, ce sont surtout des thèmes qui m’ont intéressée. Le féminisme par exemple, ça fait très longtemps que je suis dans ce mouvement, depuis les années 90. Le dossier des femmes m’a toujours intéressée et on sait qu’il reste des lacunes à ce niveau-là. Puis au sujet des aînés, moi-même j’étais à la retraite.

Justement, il y a des thèmes récurrents dans votre carrière, notamment un intérêt pour la voix des femmes. Dans les années 1990, vous étiez présidente d’un réseau des chercheures féministes en Ontario français. Quel constat pouvons-nous faire aujourd’hui en Ontario ? 

On voit bien qu’il n’y a pas tant d’organismes que ça et pourtant, il y a encore de gros dossiers comme celui de la violence faite aux femmes. Il y a des organismes dans la région, oui, bien que pas assez. En Ontario, nous avions une table de recherche féministe francophone, mais on ne l’a plus, faute de ressources humaines, faute de finances ou de décisions plutôt politiques.

J’ai réalisé très jeune que, nous les femmes, avions moins de pouvoir. Je devais avoir 10 ou 12 ans quand j’ai compris cette injustice. J’aurais presque voulu être un homme. Quand je vivais à Sault-Sainte-Marie, j’étais au couvent des sœurs à Sturgeon Falls en 9e année, puis à Notre-Dame de Lourdes à Ottawa, et ça m’a vraiment montré à quel point les bonnes sœurs étaient quand même des femmes fortes. 

Denise Lemire à mis en oeuvre le Centre Espoir Sophie, centre pour femmes francophones défavorisées et marginalisées à Ottawa. Gracieuseté

Alors, c’est des choses comme ça qui m’allument. En 1989, j’ai été cofondatrice du Réseau socioaction des femmes francophones (RéSAFF), puis j’ai mis en œuvre le Centre Espoir Sophie, un centre pour femmes francophones défavorisées et marginalisées à Ottawa.

On faisait aussi des soupers-causeries et nous avions des femmes incroyables à la table, des modèles de femmes comme Roda Muse. Mes modèles sont Dyane Adam, Mariette Carrier-Fraser ou encore Elizabeth Allard.

Quels sont les défis dont les femmes aînées, en Ontario français, font toujours face d’après vous ? 

C’est le manque de services en français, premièrement, et l’aide à domicile. Puis la violence envers les femmes continue d’augmenter depuis la COVID-19. Mais il y a aussi les soins de santé pour les femmes. Après 70 ans, il n’y a plus de PAP test, de mammographie, comme si à 75 ans ce n’était pas grave de mourir d’un cancer. Donc ça, pour moi, c’est de l’âgisme. Il me semble que, peu importe l’âge, la personne est importante. 

Ce sont des sujets pour moi vraiment importants et je suis d’ailleurs sur le conseil d’administration de la FARFO et aussi sur celui de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), pour aussi trouver des solutions à cela.

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans le travail communautaire ? 

Dans la vie, ce qui m’intéresse, c’est le changement. Quand je vais dans les conseils d’administration, c’est pour apporter des changements. Sans ça, qu’est-ce que je fais là ?

J’aime ça quand la société change, quand la société avance.

Depuis 2021, Denise Lemire est représentante du secteur Aînés et retraités au conseil d’administration de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario. Gracieuseté

C’est essentiel dans ma vie. Je pense que chaque personne devrait faire du bénévolat. Quand je vois autour de moi qu’il y a du monde qui n’en fait pas, je trouve ça un peu triste. 

Il y a quatre ans, j’étais à la retraite et au Centre Pauline-Charron à Vanier. Ma sœur, qui était sur le conseil d’administration, m’a invitée à faire les demandes de subvention. 

Ce n’est pas du bénévolat, mais je rédige les demandes de subventions pour le centre, et, en même temps, il s’agit de s’assurer que le projet se fasse, avant de faire le rapport final. Les gens pensent que je suis folle, mais j’adore faire des demandes de subventions (rires). Après ça j’ai été engagée pour faire un programme de gestion des bénévoles. Il y a une centaine de volontaires au Centre Pauline-Charron. Une chance qu’on ait des bénévoles dans notre communauté, puis dans notre communauté francophone, parce que ça ne marcherait pas sinon. Et je crois que l’engagement communautaire, on devrait le prôner plus au niveau des jeunes.

Dans votre curriculum vitae, on constate aussi que vous avez été la présidente du Centre d’alphabétisation d’Orléans. Quel regard portez-vous sur cette problématique ? 

Dans les années 1990, des statistiques indiquaient que les francophones étaient moins instruits et moins éduqués, qu’ils étaient plus analphabètes que les anglophones. Donc c’est sûr que ça m’a intéressée. Ça touche aussi les femmes et c’était une problématique pour elles, afin d’avoir un bac ou une maîtrise. Aujourd’hui, on n’en entend moins parler. Mais ce qui m’intéresse maintenant, c’est l’analphabétisme numérique, l’inhabilité technologique. 

Si tu n’as pas ça, tu es un analphabète. Parce que même les formulaires gouvernementaux sont en ligne. Je pense qu’il faut faire cheminer les personnes âgées vers l’Internet, c’est essentiel.

En avril dernier, durant le congrès de l’AFO, ONFR avait organisé un panel sur le vieillissement. On comprenait que de nombreux aînés voulaient rester chez eux, au lieu d’aller dans un centre de soins de longue durée. Y a-t-il derrière cela un business de la vieillesse, selon vous ?

Mon Dieu ! Écoutez, rien que l’image de la vieillesse à la télévision est axée sur les personnes âgées qui ne sont pas actives, axé sur la médicamentation. Il y a un gros business autour des médicaments et du logement. 

Les résidences pour aînés, ça peut aller jusqu’à 6000 $ par mois. C’est aussi la raison pour laquelle la FARFO prône l’aide à domicile. Les gens veulent rester chez eux et surtout pas dans un centre de soins de longue durée par exemple. 90 % des gens actifs veulent rester chez eux. 

De gauche à droite, le ministre Boissonneault, Cécile Paquette, présidente de la FARFO-Ottawa-Kingston, Jean Hébert, coordonnateur FARFO-Provinciale, Marc Serré, secrétaire parlementaire aux Langues officielles et Denise Lemire, représentante de la FARFO-Provinciale et AFO.

Une chose à comprendre aussi, c’est le financement du gouvernement. 70 % du financement vont dans les soins longue durée, puis, 30 % dans l’aide à domicile. Ce qu’on aimerait, c’est une situation similaire au Danemark qui accorde 30 % de financement aux soins de longue durée et 70 % à l’aide à domicile.

Votre engagement contre la maltraitance des personnes âgées persiste depuis huit ans. Que retenez-vous de ces années de recherches ? 

Quand j’étais directrice générale de la FARFO en 2015, je voulais mettre en place un programme. Maintenant en 2023, c’est le cas. Mais ce que je peux vous dire, c’est que la prévention de la maltraitance est encore beaucoup plus nécessaire aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2015.

Au niveau de la fraude par Internet et par téléphone, combien de messages reçoit-on par jour ? Il faut vraiment sensibiliser les gens, parce que je trouve que c’est déplorable, ce sont des millions de dollars chaque année au Canada.

La fraude a aussi plusieurs visages, la romance devient de plus en plus populaire. Les personnes qui se sentent isolées vont sur Internet, dans les réseaux de romance et tombent en amour avec des gens qu’ils leur écrivent. Les fraudeurs sont excellents et très manipulateurs.

Qu’est-ce qui vous inquiète en 2023 ? 

L’intelligence artificielle. Avez-vous vu maintenant, les fraudeurs se font passer pour les petits-enfants. Si tu as mis la voix de ton enfant sur Facebook ou quelque chose comme ça, ils peuvent prendre sa voix pour prétendre qu’ils sont au bout du fil et dérober de l’argent. 

La fraude financière est intense, même moi je me suis déjà fait arnaquer. Au Centre Pauline-Charron, on a une table de concertation qui s’intitule « Sécuri-aînés », pour identifier les défis. Donc là, notre prochaine étape, c’est d’offrir cinq sessions d’information et des discussions sur des outils. C’est aussi la porte ouverte afin de se créer un réseau local de prévention contre la maltraitance des aînés. Présentement, il y a une stratégie pancanadienne pour développer des réseaux provinciaux. Il n’y a que trois ou quatre provinces qui ont du financement, dont la nôtre, avec Elder Abuse Prevention Ontario.

On veut inciter les provinces à avoir des stratégies et, comme le réseau de la maltraitance que j’ai mis sur pied, on voudrait des réseaux locaux à travers l’Ontario.

Denise Lemire est la mère de l’humoriste du groupe Improtéine, Martin Laporte. Gracieuseté

Sur une note plus personnelle, vous vous êtes retrouvée bloquée sur un bateau de croisière durant la pandémie. Quel souvenir en gardez-vous ? 

Le monde avait peur pour nous, mais nous, on n’avait pas peur. On était dans le bateau, puis on s’est dit « on est bien ici ». C’était une expérience extraordinaire. Ce qui était quand même intéressant, c’était de voir l’importance de la politique par rapport aux règles internationales. On aurait voulu être des petites abeilles pour aller dans les bureaux et entendre les négociations.

On était 240 Canadiens sur ce bateau et le Canada voulait nous rapatrier, mais les pays vers lesquels on a navigué ne voulaient pas. On a dû passer par le canal de Panama. 

Pour traverser, il fallait éteindre toutes les lumières du paquebot. Personne ne devait sortir sur les ponts, à cause de la COVID-19. Il ne fallait pas qu’on nous voie non plus puisque qu’aucun pays ne voulait être près de nous. (rires)

Lorsqu’on est arrivé à Fort Lauderdale en Floride, nous avons quitté le bateau via un bus, puis directement sur le tarmac de l’avion, sans passer par la sécurité. Une histoire incroyable quand j’y repense.  »


1952 : Naissance à Rouyn-Noranda, Québec 

1995 : Présidente du Réseau des chercheures féministes de l’Ontario français

2002 : Directrice générale de l’Association des auteures et auteurs de l’Ontario français

2015 : Directrice générale de la Fédération des aînés et retraités francophones de l’Ontario (FARFO)

2018 : Membre du Conseil d’administration du Réseau canadien pour la prévention du mauvais traitement des aînés (CNPEA/RCPMTA)

2023 : Récipiendaire du prix Claudette Boyer – Citoyenne de l’année durant le Gala des Prix Bernard-Grandmaître de l’ACFO Ottawa