Jim Watson et la francophonie : le côté pile et le côté face

Le maire d'Ottawa Jim Watson, sous différents angles. Montage photos #ONfr

OTTAWA – À moins d’une grosse surprise, Jim Watson sera réélu sans encombre pour un troisième mandat consécutif le 22 octobre prochain. Construction du train léger, impact positif du 150e anniversaire de la Confédération canadienne ou encore, la bonne santé économique de la capitale, le maire sortant d’Ottawa a traversé les quatre dernières années dans un fauteuil, et sans adversaire politique majeur. Avec les francophones, M. Watson aura en tout cas soufflé le chaud et le froid, pour un bilan finalement… tiède. En d’autres mots, il y a bel et bien un côté pile et un côté face chez le maire vis-à-vis des Franco-Ontariens d’Ottawa.

SÉBASTIEN PIERROZ
spierroz@tfo.org | @sebpierroz

Lors de son élection en 2010, Jim Watson suscite beaucoup d’espoir chez les francophones. Capable de bien s’exprimer en français, le nouveau premier magistrat tranche avec son prédécesseur, l’unilingue anglophone Larry O’Brien. Des bilingues sont même d’entrée nommés à des poste-clés de l’administration : Charles Bordeleau à la tête de la police ou encore, Robert Marleau comme commissaire à l’intégrité. Malgré une bonne présence aux événements communautaires, l’histoire d’amour entre Jim Watson et les militants francophones tourne au vinaigre.

Dès 2012, des multiples accrocs au bilinguisme à la Ville d’Ottawa relancent l’intérêt pour une capitale officiellement bilingue. Un nouveau statut auquel le maire préfère la formule du « bilinguisme pratique ». Le mouvement s’organise et prend de l’ampleur à partir de 2014. Et c’est avec une relative indifférence que Jim Watson accueille finalement en spectateur l’officialisation du statut bilingue d’Ottawa par la province, le 14 décembre 2017.

Pour les plus optimistes, cette loi marque la concrétisation de plusieurs années de lutte. Les plus sceptiques pointent du doigt sa vacuité qui ne ferait reconnaître que le caractère bilingue de la Ville sans y ajouter la moindre exigence en matière de services en français. Une chose est certaine : le statut bilingue s’impose comme l’élément le plus discuté du bilan de M. Watson pour les 127 225 francophones de langue maternelle présents dans la capitale du Canada.

Autre constat plus amer : l’élu francophone de Rideau-Vanier, Mathieu Fleury, a paru bien seul pour défendre publiquement le dossier du bilinguisme officiel. Les francophones ou francophiles Bob Monette (Orléans), Jean Cloutier (Alta Vista) ou encore Stephen Blais (Cumberland) sont restés neutres.

Les conseillers municipaux Tierney, Fleury, Blais et Monette . Archives #ONfr

« Ce nouveau statut, ce n’est évidemment pas assez », analyse la politologue de l’Université d’Ottawa, Caroline Andrew. « Durant les quatre dernières années, nous n’avons pas senti la volonté de M. Watson de faire jouer ce bilinguisme sur une scène plus internationale, de le publiciser, afin éventuellement d’attirer des touristes. »

Panéliste des États généraux de la francophonie d’Ottawa en 2012, Mme Andrew a depuis observé à la loupe toutes les décisions de M. Watson… et parfois ses silences. « Il n’y a eu aucune célébration, ni communiqué de presse sur l’officialisation du statut bilingue. »

Interrogé par #ONfr il y a deux jours sur ce manque de promotion, le maire d’Ottawa avait fait valoir son explication. « Nous n’avons pas beaucoup de budget pour la publicité, car on a coupé le budget de la publicité. La grande moitié de la population sait que la ville est bilingue, et nous avons l’information des services en français sur notre site web. »

Le maire Jim Watson, et la présidente de l’ACFO, Soukaina Boutiyeb, lors du lever du drapeau franco-ontarien en septembre 2017. Archives #ONfr

Une discrétion de la Ville d’Ottawa qui fait en tout cas réagir du côté de l’Association des communautés francophones d’Ottawa (ACFO Ottawa). « Il faut une seconde phase », affirme la présidente de l’organisme porte-parole des francophones d’Ottawa, Soukaina Boutiyeb. « Nous aimerons commencer une consultation publique avec la société civile pour savoir ce que les francophones veulent maintenant de ce bilinguisme. »

Le maire d’Ottawa et l’ACFO sont régulièrement en contact. Peu avant sa réélection en 2014, l’organisme et M. Watson s’étaient entendus pour se rencontrer quatre fois dans l’année. Tombé rapidement dans l’oubli, cet engagement a été renoué dernièrement. « Il y a eu récemment deux rencontres », confirme Mme Boutiyeb. « Nous sommes en contact régulièrement avec le bureau de Affaires francophones de la Ville d’Ottawa. »

Comprendre les entorses au bilinguisme

Mais comment se traduisent les entorses à la politique de bilinguisme? Pour le comprendre, il faut remonter à janvier 2016, date de l’entrée en fonction du directeur général de la Ville, Steve Kanellakos.

L’embauche de cet unilingue anglophone était pourtant contraire à la politique de bilinguisme de la Ville d’Ottawa adoptée en 2001, et donc enchâssée dans une loi par Queen’s Park 16 ans plus tard : « Tous les candidats externes considérés pour des postes de gestion de niveau 1 à 3 doivent être bilingues. Les seules exceptions, après qu’un vaste effort de recrutement a été déployé, devront obtenir l’approbation du Conseil », dit la politique.

Rien de nouveau, puisqu’environ la moitié de la vingtaine d’emplois de hauts cadres de la Ville d’Ottawa est occupée par des unilingues anglophones.

Le maire d’Ottawa Jim Watson et le directeur municipal, Steve Kanellakos, en 2016. Archives #ONfr

Si le candidat ne répond pas aux exigences linguistiques à l’embauche, celui-ci doit en vertu de la politique atteindre les compétences linguistiques du poste en suivant une formation offerte aux employés de la Ville. Sauf qu’aucune règle ou évaluation ne peut attester que M. Kanellakos a amélioré aujourd’hui son français.

« Le statut bilingue est épineux », constate Clive Doucet, principal des 11 opposants à Jim Watson dans la course municipale. « Si je suis élu, je veux approcher le gouvernement fédéral pour que nous amenions ce statut bilingue vers une réalité », affirme en français celui qui a déjà siégé de 1997 à 2010 à la table du conseil municipal.

Hausse des cours offerts en français

Tout n’est pas sombre à regarder de plus près le bilan francophone de Jim Watson. Bien au contraire. « On peut même dire que dans certains cas, Jim Watson est en avance sur ses prédécesseurs », croit Mme Andrew. « Il parle souvent en français lors de ses discours, et a eu l’objectif de maintenir des services en français forts. »

Principal fait d’arme assez ignoré dont peut se targuer l’actuel maire : le nombre d’activités en français offert par la municipalité a grimpé pendant ses deux mandats. Continuer cette hausse, Jim Watson affirme à #ONfr en faire l’un de ses chevaux de bataille en cas de réélection.

Selon les chiffres transmis par la Ville d’Ottawa, il y aurait eu 3 648 programmes donnés dans la langue de Molière en 2017. C’est mieux que les 3 064 offerts en 2011, première année complète des huit ans de Jim Watson à la tête de la municipalité.

L’hôtel de ville d’Ottawa. Archives #ONfr

Arts de la scène, arts martiaux, conditionnement physique ou encore, programmes aquatiques : ces activités n’étaient pas encore au nombre de 1000 jusqu’en 2008.

« On manque quand même d’envergure et de vouloir-faire concernant ces activités en français », illustre Mme Andrew. « On pourrait, par exemple, faire des vidéos clips pour mieux les promouvoir. »

Baisse du nombre de plaintes, mais méthode contestée

La baisse du nombre de plaintes aux services en français à la Ville d’Ottawa pourrait représenter l’autre bon coup de Jim Watson pour son second mandat. C’est d’autant plus vrai que lors de l’année de sa réélection en 2014, un pic de 119 plaintes avait été atteint. Elles n’étaient que 47 en 2017, contre 23 seulement pour l’année précédente.

« Je ne trouve pas que de mettre en valeur les plaintes soit très pertinent », soutient Mme Andrew qui préconise davantage le renforcement positif. « Il faudrait faire des programmes pour voir les gens qui ont été bien servis, peut-être même créer des prix pour la bonne qualité du service en français. »

Les plaintes de la Ville d'Ottawa sur les services en français sont présentes dans ce tableau.
Graphique sur le nombre de plaintes sur les services en français à la Ville d’Ottawa. Montage #ONfr

Au-delà de la baisse, la méthode de comptabilisation des plaintes de la Ville d’Ottawa reste sujette à questions. On sait, par exemple, que la Direction des services en français (DSF) se réserve le droit de les regrouper et les traiter comme une seule et unique plainte.

Dernière amélioration durant ce second mandat de Jim Watson : l’augmentation de l’enveloppe dédiée à la DSF. En 2015, le conseil municipal faisait passer le montant annuel de 2,6 millions à 3 millions de dollars. Pour certains acteurs proches du dossier, la somme resterait toutefois insuffisante pour assurer les traductions de la Ville d’Ottawa, la visibilité francophone ou encore, l’amélioration de l’offre active de services bilingues.

À l’Ouest, rien de nouveau… ou presque

Enfin, Jim Watson avait promis d’améliorer les services en français pour les Franco-Ontariens de l’Ouest de la Ville d’Ottawa. Un échantillon de population souvent ignoré mais dont la croissance a franchi le cap des 30 000 résidents. L’équivalent d’environ plus de 20 % des francophones du territoire.

Membre du comité consultatif sur les services en français de la Ville d’Ottawa, Jean-Louis Schryburt sait de quoi il parle. Ce résident de Kanata constate jour après jour les défis en tant que francophone de l’Ouest d’Ottawa : « On croise plus de commerces dans l’Ouest qui offrent des services dans les deux langues, de ce que je vois à Orléans. Mais c’est une population très étalée, qui n’a pas un lieu de ralliement. »

Pour pallier le manque de services, le maire dit à #ONfr s’en remettre à l’ouverture prochaine de la Maison francophonie sur le chemin Richmond. Une ouverture prévue dans les prochains mois, mais constamment retardée depuis des années. Le financement provincial de 8,95 millions de dollars alloué l’an passé parait cette fois décisif.

« La Ville a été très positive pour accommoder la communauté francophone de l’Ouest », croit M. Schryburt. « Ça a été une victoire dans ce sens-là. De nombreux retards ont fait que nous avons failli perdre le terrain et l’édifice, mais la Ville a toujours été patiente. »

Des organismes de l’Ouest comme le Centre soleil d’Ottawa-Ouest, la Coopérative Ami Jeunesse ou encore, le Centre communautaire Franc-Ouest vont pouvoir ainsi offrir des services dans ce même bâtiment.

« À l’Est, c’est clair qu’on a plus de services en français, et qu’il manque de transports en commun pour aller vers l’Ouest, mais Jim Watson a toujours été dans cette idée qu’il ne faut pas beaucoup augmenter les taxes », illustre Mme Andrew.

Clive Doucet, principal opposant à Jim Watson dans la course municipale. Source image : Facebook

Clive Doucet, lui, veut voir encore plus loin que la résonance de l’Ouest. « Je n’ai jamais vu un plan culturel pour la francophonie dans cette Ville. Il faudrait un Festival qui implique la communauté francophone, et réunisse les anciens et nouveaux arrivants francophones. »

Quoi qu’il soit, en cas de réélection le 22 octobre prochain, Jim Watson sera le premier maire à dépasser les dix ans consécutifs à la tête d’Ottawa. L’autre record qu’il conservera : celui d’être à la barre de la municipalité possédant le plus de francophones hors Québec. Nul ne sait par contre si Jim Watson a conscience de ce fait, loin pourtant d’être un simple détail.


POUR EN SAVOIR PLUS :

Pas d’argent pour la promotion du bilinguisme officiel, dit Watson

La désignation bilingue d’Ottawa non mentionnée par Watson

Services en français : hausse des plaintes à Ottawa

Un directeur municipal unilingue anglophone pour la Ville d’Ottawa