Le Festival de la Curd à la croisée des chemins
LA NATION – Depuis près de 30 ans, le Festival de la Curd fait la fierté des gens de St-Albert, dans l’Est ontarien. Dans les derniers mois pourtant, l’organisation a privilégié des événements sporadiques au centre communautaire plutôt qu’un grand rendez-vous estival. Les principales raisons évoquées sont la pénurie de main-d’œuvre et les travaux sur le site de la fromagerie St-Albert, lieu habituel des festivités. Mais l’avenir du Festival de la Curd reste incertain.
Selon les responsables de la fromagerie St-Albert et de Groupe Simoncic, qui organise le Festival de la Curd depuis plusieurs années, l’événement était en parfaite santé avant l’arrivée de la pandémie. En entrevue avec ONFR+, le directeur général de la fromagerie, Éric Lafontaine, explique que le public, par solidarité, était particulièrement au rendez-vous dans les années qui ont suivi l’incendie de 2013. La venue du groupe québécois les Cowboys fringants en 2019 avait aussi attiré une grande foule, et l’achalandage avait été bonifié pour toute la fin de semaine.
Pas de longue agonie, donc. Reste qu’il n’y aura pas de Festival de la Curd dans sa formule habituelle en 2023. Devant les difficultés logistiques, Groupe Simoncic a décidé d’organiser des spectacles de façon sporadique, au Centre communautaire St-Albert.
Après ces quatre événements à thématiques variées, nous avons contacté le directeur général de Simoncic, Pierre Fortier, pour avoir une idée du bilan dressé par son organisation : « Est-ce que ça a répondu vraiment comme on voulait? Non. Est-ce qu’on s’attendait à des foules de 4 000 personnes? Non plus. Mais je pense que c’était important de garder quelque chose pour la communauté. »
Sans dévoiler grand-chose, Pierre Fortier se montre plus optimiste que lors d’un entretien précédent. Il affirme maintenant que son équipe tente d’organiser un réel rassemblement à l’été 2023.
« Il y a plus qu’un projet sur la table en ce moment. C’est une question d’évaluer ce qu’on est capable de faire de ces projets. »
Deux enjeux majeurs bloquent la formule habituelle
Groupe Simoncic organise aussi d’autres événements, dont le Festival franco-ontarien, qui a récemment annoncé un retour à sa case habituelle de juin, après trois éditions décalées en septembre.
Questionné à savoir si leurs autres événements connaissent les mêmes difficultés, Pierre Fortier insiste sur la conjoncture entre la pénurie de main-d’œuvre et les travaux à la fromagerie. Le terrain, dans son état actuel, présenterait des enjeux de sécurité s’il devait accueillir une foule.
De plus, la curd n’est pas qu’un titre, mais un élément important du festival. On distribuait du fromage en grains dans la foule et les spectateurs étaient nombreux à visiter les installations et à se procurer des sacs. Comme la fromagerie doit fournir ses produits frais du jour à ses différents points de vente, elle ne pourrait pas répondre à cette hausse fulgurante de la demande durant la fin de semaine.
« Ça a un impact sur notre magasin et notre restaurant. Quand on fait le festival, ils sont envahis, si on peut dire ça comme ça. Avec la pénurie de main-d’œuvre qu’on vit présentement, on ne peut même pas ouvrir notre restaurant 7 jours sur 7 », abonde Éric Lafontaine.
Le domaine de la restauration étant particulièrement touché par cette pénurie, il faudrait donc offrir un salaire compétitif aux employés des kiosques alimentaires. On peut faire le même constat avec tous les métiers techniques rattachés à l’organisation d’un spectacle, sans parler des difficultés à recruter des bénévoles dans un monde où même les salariés se font rares, explique-t-il.
Les organisateurs se retrouveraient devant un dilemme cornélien : vendre les billets beaucoup plus chers, ou accumuler un déficit qui pourrait compromettre la tenue de l’événement pour les années à venir. Pierre Fortier prévient : « On n’est pas rendus à un moment 100 % critique, mais il faut vraiment faire attention. »
Réactions dans la communauté
Nous avons parlé à quelques citoyens qui ont assisté à des spectacles de cette saison 2022-2023 afin de savoir ce qu’ils pensaient de cette nouvelle formule. Une citoyenne d’Alfred, Joanne Rochon, participait pour la première fois à une activité du Festival de la Curd lorsqu’elle s’est rendue au spectacle de Nicola Ciccone et Céleste Lévis. Elle nous indique avoir apprécié le côté intime de la salle. « J’ai aussi apprécié le cadeau à l’entrée, un bon sac de curd fraiche! »
Nicole Beauchesne, citoyenne engagée de St-Isidore, croit que c’est important d’avoir une offre de spectacles dans la région. « J’ai beaucoup aimé, c’était bien organisé. J’aimerais qu’ils continuent cette version même si j’aime aussi la version traditionnelle du Festival de la Curd. »
Le conseiller municipal de St-Albert, Danik Forgues, comprend que le Festival de la Curd doit se réinventer, mais ne croit pas que la formule 2022-2023 soit intéressante pour le long terme. Lorsque les activités sont concentrées en quelques jours, il est plus facile d’attirer des visiteurs de l’extérieur de la ville, qu’il s’agisse de touristes ou d’anciens citoyens qui se font une tradition de revenir dans leur patelin pour cet événement emblématique.
La Ville (la municipalité de La Nation) offre peu d’aide financière au Festival de la Curd, puisqu’il est géré par une entreprise privée. Il faudrait donc que Groupe Simoncic prouve son implication communautaire pour espérer une aide supplémentaire de la municipalité. Néanmoins, le conseiller souhaiterait collaborer avec les organisateurs dans le cadre des activités du 150e anniversaire du village de St-Albert, l’an prochain qui coïnciderait aussi avec le 30e anniversaire du festival.
Les festivités pourront ramener ce sentiment d’appartenance communautaire habituellement défendu par le rassemblement estival. Danik Forgues souligne que l’organisation du 150e mobilise de nouveau les bénévoles et espère que ces gens pourront rester impliqués dans leur communauté et éventuellement rejoindre les rangs du Festival de la Curd par la suite.
« J’espère vraiment que ce sera un beau tremplin. Le Festival de la Curd est arrivé au 100e de la fromagerie. Par la suite, il a évolué, s’est transformé. »
Un avenir incertain
Le directeur général de Groupe Simoncic admet qu’une série de spectacles étalés dans le temps ne correspond pas à la définition d’un festival. Il n’y a pas d’esprit de communauté qui se crée comme lorsque l’on organise différentes activités connexes autour des performances scéniques. Si les programmes de subvention changent et qu’il faut être créatifs pour prouver remplir les attentes, Pierre Fortier estime que son organisation a toujours été transparente et que les commanditaires ont compris les enjeux et maintenu leur implication.
Selon lui, le fait que l’événement était très bien établi a été un atout majeur. « On regarde le monde événementiel en ce moment, ça tombe parfois comme des mouches. Mais nous, on est en encore là. »
Il souligne que des membres de la communauté siègent sur le conseil d’administration et que leur voix est importante. Il espère que les citoyens de La Nation ont compris la démarche et indique avoir reçu des questions, mais pas de plaintes. Malgré un achalandage un peu décevant, « on a eu des bons commentaires des gens qui venaient. Donc, on voit qu’il y a une possibilité pour nous, c’est une avenue, peut-être, pour venir complémenter un festival de la Curd pendant l’année ».
Si l’option d’un festival à proprement parler semblait totalement écartée pour 2023, Pierre Fortier a entrouvert la porte lors de notre plus récente discussion. Chose certaine, cela ne se passerait pas sur le terrain de la fromagerie St-Albert.
« Quand tu refais la cuisine chez vous, ce n’est peut-être pas le temps d’inviter toute la famille à souper. Mais il y a des endroits, comme le centre communautaire, qu’on a appris à connaitre et qui peuvent être propices pour quelque chose » – Pierre Fortier, directeur général de Groupe Simoncic
Les réponses aux questions sur l’avenir du festival restent incomplètes. Il n’y a pas de dates officielles ni même de formule concrète prêtes à être annoncées. Le représentant de Simoncic souhaite garder l’idée d’un festival culturel qui rejoindrait les différentes générations et représenterait la communauté francophone de l’Est ontarien. Par contre, il n’est pas question de retourner dans le passé. On ne verra pas, par exemple, de rassemblement de moulins à battre antiques dans le but de battre un record Guinness, comme cela a été fait en 2015. Les organisateurs profiteraient de ce moment de flottement pour brasser les cartes.
Éric Lafontaine souligne quelques avantages de la formule étalée dans le temps, comme le fait d’être moins dépendant de la météo et une planification plus facile puisqu’il est difficile de dire quand se termineront les travaux à la fromagerie. Une nouvelle étape de construction extérieure doit débuter en mai. Il rappelle qu’un festival se prépare des mois à l’avance et demande des efforts considérables qui ne sont pas visibles pour les festivaliers.
« Il y avait, avant la pandémie, quelque chose de très fort. Et c’est là qu’on veut revenir. Personne ne veut faire un festival médiocre » – Pierre Fortier
Notons que, pendant la pandémie, l’équipe du Festival de la Curd a mis en place le circuit Oh la vache! Différents artistes de l’Est ontarien, d’Ottawa et de l’Outaouais ont peint des vaches grandeur nature. Ces bovins en fibre de verre sont exposés le long d’un parcours touristique de 30 km.
Le Festival de la Curd, tel qu’on le connait, sera-t-il de retour dans les prochaines années? L’événement semblait en bonne santé, mais la pandémie, les travaux, la pénurie de main-d’œuvre et même le désir de se réinventer pourraient avoir raison de ce classique franco-ontarien. L’avenir nous dira si l’événement retrouvera son cachet particulier et si la population aura toujours envie de converger vers St-Albert tous les étés.