La viabilité financière de l'Université de Hearst a été remise en question dans le rapport Harrison. Crédit image : Inès Rebei

SUDBURY – Au surlendemain de la sortie du rapport du « blue-ribbon », aussi appelé Harrison du nom du président du comité d’experts, les premières oppositions se font entendre au sein de la communauté francophone. Les recommandations émises dans ce rapport, et desquelles le seul francophone du comité s’est distancé, seraient loin d’avoir pris en compte les intérêts des francophones, notamment dans le Nord.

« Le premier effet de la surprise passé, il faut maintenant gérer la suite et revenir dans le rationnel », a déclaré à ONFR Luc Bussières, le recteur de l’Université de Hearst, dont la viabilité, comme celle de l’Université de l’Ontario français (UOF), est remise en question par le rapport paru mercredi.

M. Bussières dit avoir hâte de connaître la position du ministère des Collèges et Universités (MCU) concernant les propositions du comité qui recommande, entre autres, de fédérer l’Université de Hearst et celle de l’Ontario français (UOF) avec l’Université d’Ottawa. Néanmoins, celui-ci reconnaît ne pas comprendre les propositions du groupe d’experts qu’il juge malvenues après l’autonomie récente de son établissement.

« Ces recommandations ne correspondent pas du tout à notre lecture de la réalité, ni à celui du discours du « par et pour » qui est complètement évacué de la lecture que le comité a faite », déclare-t-il.

Rejet d’une fédération avec l’Université d’Ottawa

Parmi les reproches adressés au rapport figure aussi le fait que le comité ne comprend qu’un seul francophone sur sept membres, Maxim Jean-Louis, lequel n’a pas soutenu deux propositions, dont celle concernant une fédération des universités franco-ontariennes avec l’Université d’Ottawa.

« Est-ce que l’Université d’Ottawa est une bonne université bilingue? Absolument, mais ce n’est pas ce que les francophones demandent », estime la députée provinciale de Nickel Belt, France Gélinas.

De son côté, le Regroupement des étudiants franco-ontariens (RÉFO) se dit opposé à ce modèle de fédération qui était celui de l’Université Laurentienne au moment de la crise financière de 2021, ayant provoqué la perte des programmes francophones de l’établissement.

« On a vu les limites du modèle fédératif avec la Laurentienne. C’est quelque chose qui mettrait en péril les institutions », juge François Hastir, directeur général du RÉFO. Celui-ci considère néanmoins l’option d’un consortium entre les universités, mais sans qu’il soit chapeauté par une université bilingue comme l’Université d’Ottawa, comme le propose le rapport.

Selon lui, il est important que toutes les universités qui font partie de ce consortium puissent garder une autonomie complète. Il rappelle que le climat de francophobie, révélé dans un rapport en 2021 à l’Université d’Ottawa, fait craindre une affiliation avec une université bilingue.

Le recteur Bussières dit s’être battu pour que l’Université de Hearst, qui a fêté récemment ses 70 ans, obtienne finalement son autonomie. Crédit image : Inès Rebei

Le recteur Bussières est lui aussi peu favorable à l’idée d’un consortium chapeauté par une université bilingue, mais juge difficile l’idée du RÉFO, même avec une gouvernance entièrement francophone et autonome.

Loin d’être fermé à des partenariats de collaborations entre universités francophones, il trouve difficile, en revanche, d’affilier des universités avec des réalités très différentes : « Je vois mal comment on arriverait à plus d’efficacité avec un modèle de cette complexité et que j’appelle improbable en termes de faisabilité. »

Les francophones peu consultés

Selon M. Bussières, le fait qu’il n’y ait que trois pages consacrées à l’enseignement en français dans ce document de 87 pages serait une preuve du manque de considération de l’aspect francophone : « C’est vite expédié. On ne trouve pas la lentille francophone dans ces trois pages là. »

Le comité a reconnu dans les premières pages du rapport n’avoir eu que six mois pour préparer le document. « Il y a certainement des éléments qui sont manquants pour lesquels ces experts-là n’ont pas la même sensibilité ou expertise comme les petites universités, la francophonie, les groupes minoritaires », juge encore le recteur.

« Je ne peux pas croire qu’en 2023 on ait une gang d’anglophones qui va nous dire comment, nous les francophones, on doit gérer notre éducation », lance France Gélinas, étonnée de la composition et des propositions du comité.

Le directeur général du RÉFO, François Hastir, dit que l’organisme a l’intention de rencontrer prochainement des acteurs gouvernementaux. Crédit image : EMNO

« Sur les 27 groupes qui ont été rencontrés par le groupe d’experts, on est la seule organisation (étudiante) complètement francophone », déplore M. Hastir.

À l’exception des collèges et universités, l’autre organisme francophone consulté a été l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO). « La crainte qu’on a par rapport aux suggestions c’est que la minorité a été sous-représentée dans les consultations », juge encore le directeur du REFO.

Selon le professeur sudburois Jean-Charles Cachon, ayant perdu son emploi lors de la coupe des programmes de la Laurentienne, « ce rapport est une honte et montre bien l’ignorance totale de ce gouvernement de la société ontarienne ».

Il reproche également le choix d’inclure M. Jean-Louis au sein du comité qui a « participé activement à toutes les réunions du conseil des gouverneurs pendant lesquelles la Laurentienne a été démolie sans raison valable comme l’a démontré le rapport de la vérificatrice générale de l’Ontario ».

Aucune mention de l’Université de Sudbury

La députée Gélinas regrette qu’il n’y ait aucune mention de l’Université de Sudbury dans le rapport : « Tous les francophones sont d’accord qu’on a besoin d’une université par, pour et avec les francophones à Sudbury et que ça doit être l’Université de Sudbury qui prend ce mandat-là. »

Le directeur du RÉFO explique avoir évoqué d’inclure l’Université de Sudbury dans son exposé devant le comité, notamment en lien avec l’idée de ce consortium des universités francophones : « C’est sûr que nous, on voit une possibilité pour l’Université de Sudbury là-dedans. »

Du côté de l’Université de Sudbury, pas de réaction publique de son recteur, Serge Miville, car « présentement, l’Université de Sudbury étudie le contenu du rapport du comité d’expertise afin d’évaluer les options présentées », selon une note de l’adjointe exécutive du recteur et secrétaire du Conseil de gouvernance, Élise Leblanc. Même son de cloche du côté de l’UOF.

Jill Dunlop, ministre des Collèges et Universités, avait confié au groupe d’experts, en mars dernier, le mandat d’émettre des recommandations destinées à garantir la viabilité financière du postsecondaire. Crédit image : Rudy Chabannes

Considérant la deuxième option proposée par le comité concernant un modèle de partenariat de l’UOF et de l’Université de Hearst et les Collèges Boréal de Sudbury et La Cité d’Ottawa, le RÉFO juge que celle-ci, en plus de ne pas être développée en Ontario, est inadéquate : « C’est un modèle qui pourrait créer des enjeux, notamment la question de la cannibalisation des étudiants du collégial versus universitaire. »

Le Collège Boréal n’a pas souhaité réagir en entrevue, indiquant également prendre le temps d’étudier le rapport, mais a signifié dans un courriel de la direction des communications se « réjouir quand même de l’occasion que nous offre le rapport de dialoguer avec le gouvernement, le ministère des Collèges et Universités et les intervenants et du fait que le groupe d’experts ait fait des recommandations réfléchies qui, si elles sont adoptées, aideront à renforcer le système collégial et en assurer la pérennité ».

À noter que Maxim Jean-Louis n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue au moment d’écrire ces lignes.