Les immigrants francophones ne se bousculent pas aux portes du Canada
OTTAWA – Même si le fédéral acceptait toutes ses demandes de résidence permanente de francophones dans son système, il serait incapable d’atteindre son objectif en immigration francophone dû à un manque d’intérêt. La faible présence d’Ottawa dans les pays francophones du monde est notamment à pointer du doigt, selon une experte.
Les immigrants francophones qui souhaitent obtenir leur résidence permanente représentent 3,6 % des demandes actuellement dans le système, selon Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).
En date de mars 2023, ce sont 18 358 francophones qui étaient en attente dans le système d’IRCC pour une demande de résidence permanente alors que 510 000 non-francophones sont dans le même sort. Ce nombre a quelque peu fondu près d’un an plus tard, étant 19 996 francophones en avril 2022. Le nombre de nouveaux arrivants en attente de leur demande de résidence permanente, toutes langues confondues, a bondi de 430 000 à 510 000.
De ces 18 358 nouveaux arrivants francophones en attente en date de mars 2023, plus de la moitié, soit 10 142 sont pour l’Ontario ensuite suivi du Nouveau-Brunswick avec 2 959 et l’Alberta avec 1 974.
Ce 3,6 % est un peu moins que l’objectif de 4,4 % de nouveaux arrivants francophones hors Québec du gouvernement fédéral. À rappeler que cette cible est considérée comme désuète par la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) et une étude du Commissariat aux langues officielles (CLO) considère qu’une plus haute est inévitablement nécessaire.
Ces données semblent confirmer des propos du ministre Sean Fraser qui répète depuis plusieurs mois que le défi principal pour l’immigration francophone est « d’augmenter le nombre de personnes dans l’inventaire d’IRCC ».
« Même si je traitais toutes les demandes de l’arriéré d’IRCC, ce ne serait pas possible d’obtenir 20 % (de nouveaux arrivants francophones hors Québec) cette année », avançait le ministre Fraser en décembre 2022, alors que le Canada était en voie d’atteindre pour la première fois sa cible en immigration francophone.
Ce dernier indiquait la semaine dernière que l’atteinte de la cible l’an dernier a été rendue possible grâce à une certaine sélection manuelle de francophones dans « l’inventaire » d’IRCC de la part de son ministère et non nécessairement en raison du grand nombre qui était dans le système.
« Il faudrait toutefois que beaucoup plus de jeunes soient sensibilisés (…) Vous en avez peut-être rencontré un grand nombre, mais ce ne sont pas tous les résidents des pays francophones qui songent à émigrer, et il y en a encore moins qui pensent à venir au Canada », affirmait le ministre en décembre dernier, au Comité des langues officielles en réponse une députée à propos du nombre de candidats francophones.
Il réitère aussi depuis quelque temps que son ministère travaille sur la nouvelle politique en immigration francophone, inclus dans le projet de Loi C-13, qui viserait à augmenter la promotion du Canada dans des pays francophones, comme en Afrique par exemple.
« Une excuse pour se déresponsabiliser »
Les chiffres fournis à ONFR+ par le ministère fédéral comptent par exemple les travailleurs de la catégorie économique ou encore de la réunification familiale. Ces deux catégories ont constitué plus de 95 % des résidents permanents admis au Canada en 2022.
À préciser que ces données sur les demandes de résidents permanents excluent des catégories comme les travailleurs temporaires et les étudiants internationaux acceptés sur le territoire canadien, ce qui pourrait constituer une base importante de francophones qui ne sont pas comptabilisés, rappelle la chercheuse Luisa Veronis. Elle estime que les étudiants internationaux et les travailleurs temporaires qui attendent d’accéder à la voie de la résidence permanente sont nombreux pour les francophones, spécialement chez les étudiants.
« Cette proportion de 3,6 % est peut-être la portion qui est officielle. C’est clairement une raison paresseuse de justifier pourquoi l’on ne rejoint pas plus d’immigrants francophones. (…) C’est trouver une excuse pour se déresponsabiliser », affirme la professeure à l’Université d’Ottawa et titulaire d’une Chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes.
Cette dernière rappelle qu’Ottawa n’a qu’à se blâmer dans ce dossier soulignant qu’IRCC avait jusqu’à tout récemment, un seul bureau en Afrique de l’Ouest, à Dakar au Sénégal, où vit la majorité de la population francophone du continent et un fort nombre à l’échelle mondiale.
« On peut augmenter les chiffres, le bassin est là. Les candidats potentiels sont là. En théorie, on a la capacité, on a les moyens et l’expérience. Là où je n’ai pas confiance, c’est si ça va vraiment arriver. Est-ce qu’ils vont mettre de la volonté? On a vu de 2003 à 2022, pendant 20 ans, on a à peine frôlé le 1 % ou le 2 % », ressasse Mme Veronis.