Melinda Chartrand, la conseillère « everywhere »
[LA RENCONTRE D’ONFR]
STE. CATHARINES – « You’re everywhere », lui glisse le ministre Stephen Lecce quand il la croise. Rodée aux rouages de l’éducation, tour à tour conseillère scolaire, présidente du Conseil scolaire catholique MonAvenir, de l’Assocation franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC) et de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF), Melinda Chartrand explore un nouvel univers : la santé, avec l’Entité 2 de planification de services de santé en français.
« Qu’affectionnez-vous le plus dans la gouvernance et les politiques éducatives?
J’ai toujours attaché beaucoup d’importance au réseautage, à la collaboration, pour mener des projets à bon port. J’ai développé une passion plus particulière pour l’éducation francophone, avec toujours cette volonté de partager les meilleurs renseignements pour faire avancer des dossiers courants. J’ai continué dans cette même logique à la tête du conseil scolaire catholique MonAvenir et de la FNCS.
Quand on est présidente de conseil scolaire et qu’on veut faire bouger les lignes, qui est le plus difficile à convaincre : le parent ou le gouvernement?
Au début de son mandat, le ministre de l’Éducation Stephen Lecce me disait : « You’re everywhere ». C’est nécessaire d’être toujours là si on veut comprendre sa pensée et sa direction pour amener ensuite les renseignements dont le gouvernement a besoin. On doit lui montrer qu’on est là pour travailler avec lui et non pour l’attaquer. Pour les parents, c’est un peu différent. Ils veulent avant tout que ça fonctionne pour leur enfant. La relation entre eux et la direction de l’éducation est alors primordiale pour avancer dans la bonne direction.
Quelle est la clé de toute bonne décision à de telles responsabilités?
Ce qui est le plus compliqué à gérer quand on est à la tête d’un conseil est la taille du territoire que l’on couvre. Pour moi, il était important de comprendre le profil de chaque région pour saisir les besoins de nos élèves francophones et prendre les bonnes décisions.
Chaque nouvelle école est un combat politique et administratif… Lorsque la communauté et le gouvernement sont alignés, c’est parfois au niveau plus local que la machine s’enraye…
Oui et Hamilton en est le meilleur exemple. On attend la construction d’une école depuis 2013. On est revenu avec un projet commun aux deux conseils (MonAvenir et Viamonde) mais c’est tout un défi d’obtenir un permis quand le projet est très gros. MonAvenir travaille avec 24 municipalités : c’est gigantesque et parfois on bute sur des conseillers municipaux qui ne veulent rien savoir. Ça nous est aussi arrivé à Mississauga jusqu’à ce que la députée Kusendova s’implique dans le dossier pour le débloquer.
Qu’aimeriez-vous voir changer ou évoluer dans le domaine de l’éducation en milieu minoritaire?
Il faut intégrer encore mieux les élèves nouveaux arrivants car ils contribuent à l’essor de l’éducation en français. Nous avons encore beaucoup de travail pour favoriser leur intégration et aller chercher tous les ayants droit et familles exogames qui choisissent les écoles anglophones de proximité. Pour ne pas perdre toutes ces familles, on doit mieux mailler nos grands territoires et offrir les services nécessaires à la réussite de tous les élèves.
Mais 41 % des ayants droit n’ont pas de place dans une école francophone. On est donc loin du compte…
Rien qu’à Toronto, il faudrait 12 écoles pour répondre aux besoins, selon les données de l’ancien commissaire aux services en français. Comme le manque de terrain joue contre nous, il faut murir des projets innovants, particulièrement dans le nord de la ville où se concentre quasiment toute notre croissance. Contrairement aux écoles d’Ottawa qui peuvent atteindre les 700-800 places, on est toujours limité à 400-500 élèves. Ça aboutit à des situations comme à Oakville avec l’École secondaire catholique Sainte-Trinité qui concentrait un record de 22 portatives dehors en attendant la construction.
La coexistence de deux systèmes francophones, laïc et catholique, est-elle toujours pertinente en 2024 pour assurer le développement des écoles franco-ontariennes?
C’est justement parce qu’on a deux systèmes qu’on est parvenu à aller chercher plus de financement. Le gouvernement n’aurait jamais accordé un si grand nombre de nouvelles écoles à un seul système, compte tenu des autres besoins à travers à la province. Ceci dit, aujourd’hui, on parle rarement d’un système plus que l’autre dans l’éducation de langue française. Ça prouve qu’on travaille ensemble en vue d’un seul et même objectif. Par exemple, au Centre Jules-Léger (école dédiée à l’éducation spécialisée à Ottawa), le langage francophone prime sur le langage laïc ou catholique.
Il n’en demeure pas moins que les conseils scolaires sont en concurrence dans de nombreuses régions pour conquérir toujours plus d’inscriptions…
Oui, mais n’oubliez pas que la compétition est entre quatre systèmes : anglophone laïc, anglophone catholique, francophone laïc et francophone catholique. C’est notre devoir envers la jeunesse de tout faire pour la conserver dans le circuit francophone car l’immersion n’aura jamais le niveau de nos écoles.
Les écoles francophones sont de plus en plus convoitées par les anglophones qui recherchent la meilleure éducation possible en français. En acceptant ces familles, le risque n’est-il pas de sacrifier la pratique du français dans les corridors sur l’autel de l’inclusivité?
C’est un grand défi à cause de notre contexte minoritaire. La direction d’école joue un rôle vital dans cette situation. Il faut souligner tout de même que la francophonie dans nos écoles se gagne aussi par d’autres combats comme celui de la construction identitaire des élèves. Notre programme d’aménagement linguistique en Ontario est même copié dans d’autres provinces. Les jeunes doivent être fiers de leur langue.
En présidant la FNCSF au moment des consultations sur le Plan d’action sur les langues officielles et le recensement de 2021, avez-vous eu la sensation de participer à quelque chose de grand qui allait changer la donne pour l’éducation de langue française?
En près de 22 ans de carrière en éducation, l’année 2018 a été certainement la plus spéciale pour moi, en effet, car les trois niveaux de gouvernance (conseils scolaires, AFOSCS et FNCSF) ont travaillé ensemble sur un objectif commun : le Plan d’action sur les langues officielles. Augmenter le budget des langues officielles en éducation et contribuer à l’amélioration du recensement de 2021 a eu un impact très positif pour l’éducation en Ontario. D’autres dossiers d’importance sont aussi apparus cette année-là comme le refus de scolariser des ayants droit dans les Territoires du Nord-Ouest (une affaire qui s’est soldée récemment par une décision de la Cour suprême en faveur des francophones).
Vous êtes Irlandaise de par votre père et Franco-Ontarienne de par votre mère. En quoi cette dernière a influencé vos choix et votre fierté francophone?
Ma mère venait de Cochrane. Elle a quitté l’école à 15 ans pour venir travailler à General Motors à Ste. Catharines où elle a rencontré mon père. Fidèle à son identité franco-ontarienne, elle a insisté pour qu’on fréquente l’école élémentaire. J’ai commencé l’école au jardin dans une école vieille de 200 ans. L’édifice tombait en ruine chaque jour un peu plus, jusqu’à la construction d’une nouvelle école en 1969 : nous étions 300 élèves séparés dans divers bâtiments de la rue Church. J’ai ensuite fréquenté l’École Immaculée Conception en 5e année.
C’était une époque d’imagination et de persévérance jusque dans les années 1980 dans la région. À Niagara Falls, l’école se faisait dans des portatives, sans gymnase et, à Ste. Catharines, l’École secondaire catholique Jean-Vanier a commencé avec 40 élèves, bien loin de l’établissement qu’on connaît aujourd’hui à Welland (actuelle École secondaire catholique Saint-Jean-de-Brébeuf).
Qu’est-ce que vous aimez le plus à Ste. Catharines, ce coin de province sur la rive sud du lac Ontario?
On a du fun à Ste. Catharines! C’est la plus grande ville du Niagara. On l’appelle Garden City à cause de son réseau de parcs et de sentiers naturels mais aussi des centaines de vignobles qui façonnent des vins de classe mondiale. Les francophones du Niagara forment une communauté vibrante, engagée et fédérée autour d’activités culturelles.
Décrivez-nous cette francophonie entre Hamilton et Welland qu’on retrouve en partie au Club Lasalle.
Le Club Lasalle coordonne un festival qui rassemble, chaque mois de mai, tous les clubs culturels qui font leurs portes ouvertes. On découvre et comprend alors les langues, cultures et traditions des autres communautés… Avant cela, en mars, on couronne un ambassadeur ou une ambassadrice de la francophonie régionale. Ces fêtes convainquent les jeunes de conserver le français comme langue d’héritage. Le centre communautaire Le Griffon, qui regroupe une vingtaine d’organismes, s’efforce de renforcer cette identité en coordonnant des événements comme la Saint-Jean-Baptiste qui aura lieu en juin prochain.
Pourquoi avoir sauté de l’éducation à la santé en vous investissant dans la présidence de l’Entité 2 de planification des services de santé en français?
Après trois ans de lutte contre le cancer, m’engager dans la santé m’a paru un beau challenge au moment où le système est en transformation. La planification des services réclame d’aller chercher et identifier des organismes qui peuvent les offrir dans des régions (Waterloo-Wellington-Hamilton-Niagara-Haldimand- Brant) qui attirent de nombreux retraités. Dans le même temps, il y a toute une démarche politique à renforcer afin d’aboutir à un système sans silo pour les familles.
Vous avez livré ce combat contre la maladie au moment où la pandémie forçait les hôpitaux à réduire leurs services. Comment avez-vous fait face et comment allez-vous aujourd’hui?
C’est arrivé en mars 2020. Je suis tout de suite allée à l’hôpital. Les tests ont révélé un cancer de stade 3. Il fallait subir une chirurgie et des radiations. J’ai été chançeuse car la thérapie a causé peu d’effets secondaires. Ça a été six mois de thérapie, un an de récupération et une autre année de chirurgie. Il m’en reste une autre. Tout cela crée une fatigue chronique avec laquelle je dois composer. Mon docteur est un jeune issu de Jean-Vanier. C’est un plaisir de voir la jeunesse qui continue, que ce soit dans la santé ou l’éducation.
D’ailleurs, vos enfants travaillent dans ces deux domaines en manque de main-d’oeuvre…
Oui, j’ai deux filles : une docteure en médecine familiale à l’Hopital Monfort (Ottawa), et une enseignante comme son papa. Jean (Chartrand, son époux) a été leur directeur d’école et entraineur de basketball et soccer, à Jean-Vanier.
Comment avez-vous réagi quand on vous a remis cet hiver le Prix Jean-Robert-Gauthier saluant votre apport dans l’éducation en français en milieu minoritaire?
C’est tellement un honneur d’avoir accepté ce prix. J’en ai rendu folle la secrétaire quand j’ai partagé mon powerpoint de photos (Rires). Sans Jean, je n’en serais pas là.
Comment entrevoyez-vous l’avenir du système scolaire en Ontario?
On a hérité d’un système scolaire pour lequel nos parents et grands-parents ont lutté. Nous avons connu tellement de défis pour conquérir notre droit à avoir une éducation en français qu’on ne peut pas se dire que tout est gravé dans le marbre. Il faut rester en alerte et continuer à montrer qu’on est capable de gérer nos budgets, obtenir des résultats scolaires. C’est notre tour de suivre l’exemple des fondateurs en maintenant ce niveau d’exigence mais aussi en ayant les meilleures écoles pour former nos jeunes à entreprendre les défis du futur, en étant fiers de leur identité. »
LES DATES-CLÉS DE MELINDA CHARTRAND :
1960 : Naissance à Ste. Catharines
2000 : S’implique dans le club communautaire Le Griffon
2003 : Devient conseillère scolaire (Lincoln-Niagara)
2014 : Élue présidente du Conseil scolaire MonAvenir
2015 : Devient présidente de la FNCSF et de l’AFOCSC
2023 : Préside l’Entité 2 et reçoit le Prix Jean-Robert-Gauthier
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.