
Serge Dupuis, l’homme qui écrit l’Ontario français

[LA RENCONTRE D’ONFR]
SUDBURY – Difficile d’imaginer parler d’histoire franco-ontarienne sans évoquer ses nombreux travaux et ouvrages sur la question. Il y a une semaine, Serge Dupuis lançait son dernier livre intitulé Le Moulin-à-Fleur de Sudbury : quartier ouvrier, territoire canadien-français, qu’il a coécrit avec Normand Carrey et dont toutes les copies ont été écoulées lors du Salon du livre du Grand Sudbury. L’historien et consultant originaire de Sudbury et installé à Québec depuis une dizaine d’années revient sur son parcours, ses liens avec le Nord et ses projets d’avenir.
« Votre dernier livre a fait sensation au Salon du livre de Sudbury, où vous avez animé une causerie. Êtes-vous surpris de l’accueil par le public?
Oui, très heureux et ça fait chaud au cœur. C’est la première fois que je viens dans un Salon du livre où la salle est comble, et d’ailleurs, je n’ai même pas eu l’occasion d’aller m’asseoir au stand de dédicace parce que les gens faisaient la file pour venir me voir après la séance. Ça montre qu’il y a un vrai intérêt pour des sujets locaux et il faut dire qu’on a lancé le livre à deux kilomètres du quartier en question. Alors oui, je me suis senti comme une vedette!

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur ce quartier?
On s’est beaucoup intéressé aux études sur l’éducation, les revendications politiques, les institutions de la communauté franco-ontarienne, sur les figures de proue qui ont animé ce réseau-là. On a traité les paroisses et les caisses populaires, mais l’histoire de la francophonie territoriale était, elle, relativement peu étudiée. À Sudbury, les chercheurs ne s’étaient pas vraiment penchés sur le cas du Moulin-à-Fleur, peut-être parce que la communauté de recherche est plus petite. J’ai eu une discussion avec Normand Carrey, un ami de mon beau-père, qui est originaire du quartier et voulait travailler sur le sujet. On a commencé à écrire en 2019 et en 2022, on avait un premier jet pour le manuscrit.
Avez-vous appris des choses surprenantes lors de vos recherches pour ce livre?
Oui, plusieurs. Par exemple, je n’avais pas compris à quel point le réarmement de l’Europe dans les années 30 avait eu une incidence sur l’expression minière à Sudbury et à quel point ces années ont attiré des familles canadiennes-françaises vers le Moulin-à-Fleur, parce qu’il y a eu de la reprise économique beaucoup plus tôt qu’ailleurs. J’ai trouvé intéressant, aussi, que la vitalité de ces quartiers se soit maintenue dans les années 50-60 malgré le développement des banlieues. C’était le quartier le plus francophone de l’ancienne ville de Sudbury.

Vous aviez laissé entendre qu’il est possible qu’il y ait une suite à cet ouvrage?
C’est possible. Ça pourrait être intéressant d’ajouter un cinquième chapitre et, peut-être, avoir un impact sur le cours de l’histoire. Car, oui, il est possible que la connaissance favorise la prise d’actions, on l’a vu par le passé. Ça me réjouirait de voir un impact positif sur l’apparence et la vitalité de ce quartier-là.
Avez-vous déjà un autre projet d’écriture en tête?
J’en ai plusieurs qui en sont à différents stades, mais j’ai un manuscrit qui a été soumis à Prise de Parole. C’est l’histoire de la famille Goulard, qui opère une entreprise forestière du nom de Goulard Lumber depuis plus d’un siècle dans le Nipissing Ouest. Les premiers Goulard sont arrivés en forêt vers 1911-1912. C’est une tradition qui se poursuit à la quatrième génération encore aujourd’hui.

Quand avez-vous découvert cette passion pour l’histoire franco-canadienne?
Chez moi, ça a commencé avec la généalogie, quand j’étais au secondaire. Ensuite, quand j’étais au baccalauréat en histoire à l’Université Laurentienne en 2003, j’ai fait connaissance avec plusieurs figures, comme Gaétan Gervais, qui avaient une certaine philosophie dans la manière d’enseigner l’histoire. C’est un domaine peu ou pas étudié, donc on pouvait être les premiers à se pencher sur ces sujets.
Concernant le postsecondaire à Sudbury justement : pensez-vous que l’Université de Sudbury, dont la première rentrée aura lieu en septembre, pourra permettre de former des enseignants qui resteront dans le Nord?
Je souhaite que l’université forme de nouveau des gens en sciences humaines, lesquels ont vraiment été disproportionnellement affectés par les coupures à la Laurentienne en 2021. Couper des programmes en sciences humaines, c’était essentiellement couper tous les lieux de recherche sur les Franco-Ontariens. Donc, le parcours que j’ai suivi, et que d’autres collègues ont suivi aussi, ne serait plus possible aujourd’hui et ne le sera probablement pas pour un bout de temps. Une maîtrise en histoire en français, je ne pense pas qu’on en aura dans le moyen terme.

Qu’est-ce qui vous a poussé à aller vivre à Québec?
La situation de l’emploi n’avançait pas à l’université Laurentienne en 2014. C’était le deuxième concours qui n’avait pas marché pour moi. J’étais découragé, mais j’ai reçu une lettre, le lendemain, me disant que l’Université Laval me proposait une bourse de 50 000 $ par année, non taxés, pour mes projets de recherche. Mes deux premiers livres ont été en grande partie rédigés et mis à jour pendant le stage postdoctoral, donc ça a un peu propulsé ma carrière comme auteur. Donc, au départ, je me rendais à Québec pour un an ou deux. Ensuite, on a commencé à me contacter pour des projets en histoire avec des projets qui me venaient d’Ottawa, du Québec et même de Sudbury, ce qui m’a amené à rester.

Qu’est-ce qui vous manque le plus du Nord de l’Ontario?
L’été, ce sont les lacs. Ça me fait toujours plaisir d’aller faire de la course à pied puis de sauter dans le lac Ramsey. Cette proximité avec les lacs, c’est ce qui me manque le plus à Québec. Deuxièmement, je dirais que c’est la communauté autour du Carrefour francophone, avec des spectacles et des événements qui font vivre la culture franco-ontarienne. C’est toujours bien fait et c’est vraiment une des plus belles choses que Sudbury a à offrir. Ça me manque de ne pas pouvoir retrouver cette ambiance-là plus souvent.
Parfois, vous avez eu à tirer des constats pas très positifs sur la francophonie à Sudbury. Est-ce que le fait que vous ayez du recul et de la distance vous aide dans votre travail?
J’ai une sorte de responsabilité, c’est sûr, parce que c’est le milieu qui m’a élevé. Dès que je peux mettre en valeur les causes et les besoins de la population, je suis toujours heureux de le faire, mais parfois ce sont des portraits moins flatteurs que je dois dresser. Je pense qu’on l’a fait un peu avec mon étude sur le bilinguisme municipal que j’ai menée pour l’ACFO du Grand Sudbury. Le dernier chapitre sur le Moulin-à-Fleur n’est pas toujours facile à lire non plus, mais je tâche toujours d’écrire des pistes de réflexion pour une amélioration potentielle.
Peut-être que je me mouillerais moins si je ne venais pas de l’endroit, ou que j’étais plus détaché, mais je pense qu’on peut se servir de cet attachement-là de façon utile, si on est capable d’être sensible à la réalité que vivent les gens qui sont restés. Forcément, quand on est ailleurs, il faut aussi se garder une petite gêne parce qu’on vient de là, mais on n’est plus résident.

Pourriez-vous revenir prochainement dans le Nord?
Il ne faut jamais dire jamais. Je pourrais imaginer des contextes où ça pourrait se produire, mais comme ça fait 11 ans que je suis ici, plus le temps passe et moins ça devient probable. La situation de l’emploi a toujours été un obstacle significatif. Même si je fais des projets sur Sudbury, je n’aurais pas pu avoir la carrière que j’ai eue si je ne m’étais pas déplacé à Ottawa et à Québec. »
LES DATES-CLÉS DE SERGE DUPUIS :
1985 – Naissance à Sudbury
2000 – S’implique à la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO)
2005 – Obtient son premier prix de rédaction à la Laurentienne et sa première bourse fédérale
2016 – Fait paraître son premier ouvrage, Plus peur de l’hiver que du Diable : une histoire des Canadiens français en Floride, chez Prise de parole
2017 – Reçoit le prix Richard-Arès du meilleur essai publié au Québec pour son ouvrage Le Canada français devant la francophonie mondiale
2025 – Fait le lancement, au Salon du livre du Grand Sudbury, de son livre Le Moulin-à-Fleur de Sudbury : quartier ouvrier, territoire canadien-français, coécrit avec Normand Carrey
Chaque fin de semaine, ONFR rencontre un acteur des enjeux francophones ou politiques en Ontario et au Canada.