La crise à la Laurentienne avait provoqué la fermeture de 76 programmes rappelle le rapport de la vérificatrice générale de l'Ontario. Archives ONFR

SUDBURY –  Trois ans jour pour jour après la crise financière qui a secoué l’établissement et le milieu postsecondaire du Nord, c’est le statu quo concernant le seul programme de sages-femmes en français en dehors du Québec et le paiement des indemnités aux professeurs licenciés.

En 2021, les programmes de sages-femmes, en français et en anglais, ont fait partie des 76 programmes abolis, parmi lesquels figuraient 28 programmes en français. Aujourd’hui encore, l’incompréhension est totale devant l’absence du seul programme de sages-femmes en français à l’extérieur du Québec qui attirait, notamment, des étudiantes francophones du Nouveau-Brunswick.

« Recruter de nouvelles sages-femmes dans le nord de l’Ontario est quasi impossible »
— France Gélinas

« Personne ne l’explique, tout le monde comprend que ce programme-là doit recommencer dans le Nord de l’Ontario et on a un gouvernement qui fait la sourde oreille », déclare France Gélinas, porte-parole de l’opposition en matière de santé.

La suppression du programme, qui recevait 300 demandes d’admissions pour 30 places à la rentrée 2020 et dont le financement était assuré par la province, aurait des conséquences sur le milieu médical du Nord. De toutes les sages-femmes du Nord de l’Ontario, une seule serait graduée du programme de sages-femmes de l’Université Laurentienne aujourd’hui.

« Recruter de nouvelles sages-femmes dans le Nord de l’Ontario est quasi impossible, on le voit avec Hearst qui n’est plus capable de faire le suivi des femmes enceintes », insiste la députée de Nickel Belt, qui considère que « si la Laurentienne avait encore son programme, on aurait eu des nouvelles graduées qui auraient aidé ». 

L’hôpital de Hearst a perdu son seul obstétricien en juin dernier. Depuis, toutes les femmes devant accoucher doivent parcourir des centaines de kilomètres pour se rendre à l’hôpital le plus proche, à Timmins. De son côté le centre de santé communautaire du Grand Sudbury indique avoir deux postes de sages-femmes qu’il n’arrive toujours pas à combler.

France Gélinas estime que la perte du programme est doublement problématique dans le Nord, que ce soit pour les francophones ou le milieu de la santé. Archives ONFR

Malgré la forte demande et la facilité de transfert du programme, qu’est-ce qui constitue un obstacle à une évolution du dossier? « C’est le gouvernement de monsieur Ford qui veut pas dépenser une cenne dans le nord de l’Ontario », rétorque France Gélinas.

Après la suppression du programme, les universités McMaster (Hamilton) et Ryerson (Toronto) ont accueilli, temporairement, les étudiantes et certaines professeures de la Laurentienne. « Mais une fois que ces cohortes ont gradué, les cours en français ont cessé d’être disponibles », a fait savoir l’établissement de McMaster. 

Depuis, aucun établissement postsecondaire du Nord n’a, pour le moment, repris le programme. 

Mutisme des établissements postsecondaires du Nord 

« Après une étude de marché et de faisabilité, le Collège Boréal ne compte pas faire de demande pour offrir le baccalauréat lié à la profession de sage-femme », a fait savoir le Collège Boréal, qui était l’un des établissements pressentis après que l’Ontario ait autorisé les collèges à créer de nouveaux programmes dans des domaines marqués par une pénurie de main-d’œuvre, en avril 2021. 

« Boréal pourrait néanmoins offrir des appuis en termes de partenariats, de formation continue, d’appui aux services en français et de recherche appliquée, aux établissements qui envisageraient éventuellement d’offrir un tel programme. »

L’Université Laurentienne avait déclaré à ONFR, en mars dernier, qu’elle était ouverte à un partenariat avec l’Université de Sudbury suivant les recommandations du rapport Harrison. Archives ONFR

L’Université de Sudbury, qui a annoncé pouvoir offrir des programmes dont l’offre est inexistante dans la région l’an prochain, n’a pas répondu directement à la question d’ONFR sur une possibilité de reprise : « Nous avons hâte de partager prochainement les programmes qui feront l’objet de la programmation de l’Université en septembre 2025. »

Même silence du côté de la Laurentienne, interrogée sur un éventuel rétablissement du programme : « L’Université a récemment lancé son nouveau plan stratégique et, parmi les éléments de celui-ci, nous précisons notre approche aux programmes francophones. » 

Le 20 mars dernier, Journée internationale de la Francophonie, Natalie Poulin-Lehoux, la nouvelle Vice-rectrice associée, Affaires francophones avait écrit à ONFR que « l’Université est intéressée à explorer les programmes qui pourraient être offerts plutôt que de simplement restaurer ce qui existait auparavant ».

De son côté, l’École de médecine du nord de l’Ontario (EMNO), qui aurait témoigné un intérêt pour dispenser le programme, selon Mme Gélinas, n’a pas répondu à nos questions.

« Voir l’UL commencer à réembaucher et reconstruire avant d’avoir réglé leurs obligations envers nous, après la manière cavalière dont ils nous ont licenciés, ça ne me semble pas correct »
— Joel Belliveau

Enfin, le Ministère des Collèges et Universités (MCU), qui avait déclaré vouloir trouver un établissement pour récupérer les cours juste après les coupes, n’a toujours pas agi en ce sens. Contacté par courriel à de multiples reprises, celui-ci n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Les professeurs toujours pas indemnisés

Aucun changement non plus au niveau des quelques cent professeurs et professeures licenciés qui attendent toujours un dédommagement de l’établissement, qui annonçait avoir retrouvé sa santé financière avec un excédent prévu de 8,2 millions de dollars pour l’exercice 2023-2024.

En raison de la LACC et n’étant pas considérés comme étant de catégorie 1 (prioritaire), les professeurs ne pourront recevoir qu’entre 14 % et 24 % des indemnités prévues dans leur convention collective, en fonction de l’ancienneté. Archives ONFR

« J’avoue que, trois ans plus tard, ça me frustre », confie Joël Belliveau, ex-professeur agrégé au Département d’histoire. Il continue : « Personnellement, c’est la seule chose qui m’empêche de tourner la page pour de bon. »

Le 23 janvier dernier, l’établissement annonçait l’embauche de 10 nouveaux professeurs permanents, dont deux contribuant aux programmes en langue française de droit et justice et de sciences infirmières. Par ailleurs, depuis 2023, l’Université Laurentienne a procédé à la création de deux nouveaux programmes prévus pour cet automne, soit la maîtrise en administration de la santé et la maîtrise interdisciplinaire en études relationnelles.

« Voir l’UL commencer à réembaucher et reconstruire avant d’avoir réglé leurs obligations envers nous, après la manière cavalière dont ils nous ont licenciés, ça ne me semble pas correct », regrette celui qui travaille comme pigiste ou consultant en histoire, dans la région d’Ottawa.

En juin 2023, l’Université Laurentienne a conclu une entente dans le cadre d’une feuille de modalités pour la vente de biens immobiliers. Respectant cette feuille de modalités non contraignante, l’Université étudie la vente de ces biens et négocie une entente d’achat et de vente avec la province de l’Ontario qui sera établie d’ici le 28 novembre 2025, au plus tard. L’indemnisation des créanciers doit être parachevée d’ici cette même date, précise l’Université Laurentienne.

La proposition de revente concernerait plus de 27 hectares soit 9 % des 300 hectares occupés par l’Université. Archives ONFR

Un comité, représentant environ 17 des plus de 100 membres du corps professoral qui ont été congédiés, a indiqué à ONFR avoir l’intention de continuer à demander des excuses formelles, une enquête publique sur le recourt de l’établissement à la Loi sur les arrangements des créanciers des compagnies (LACC) et un remboursement immédiat des sommes dues aux employés.

D’autres professeurs licenciés ont néanmoins tiré leur épingle du jeu dans le Nord comme Serge Miville, recteur de l’Université de Sudbury et Aurélie Lacassagne qui deviendra la rectrice de l’Université de Hearst en mai prochain.

Il reste aujourd’hui 34 programmes offerts en français de premier et deuxième cycle et quelque 2300 étudiants francophones représentant près de 20 % de la population étudiante à l’Université Laurentienne.