Fin d’une saga judiciaire ayant changé le portrait des langues officielles au Canada

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OTTAWA – La Cour suprême a refusé d’entendre la cause de minorités francophones qui souhaitaient qu’elle se prononce sur le fait que le fédéral puisse se soustraire à ses obligations linguistiques lorsqu’il confie la mise en œuvre de programmes aux provinces. Cela met ainsi fin à une saga judiciaire ayant fait couler beaucoup d’encre et ayant notamment mené à l’engagement du gouvernement Trudeau sur la Loi sur les langues officielles.

La Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB) et le commissaire aux langues officielles, comme intervenant, demandaient à la Cour suprême de se pencher sur ce dossier qui dure depuis 2013, mais celle-ci a refusé jeudi. La plus haute cour au pays ne partage pas les motifs de sa décision lorsqu’elle rend un arbitrage dans des demandes d’autorisation.

Ce dossier concernait la partie IV de la Loi sur les langues officielles (LLO), la section qui assure la prestation de services de la part du fédéral. En 2008, le gouvernement avait signé une entente afin de transférer aux provinces la responsabilité d’offrir les services et programmes d’aide à l’emploi, ce que contestait la FFCB arguant que cela avait pour effet de réduire considérablement l’accès à des services à l’emploi en français. En 2018, le juge Gascon avait donné raison sur toute la ligne au fédéral, dans le cadre de l’appel portant sur les parties IV et VII de la LLO.

En 2022, la Cour d’appel fédérale avait infirmé partiellement la décision en donnant raison à la FFCB soulignant que le fédéral avait omis de respecter ses obligations linguistiques et que cela avait eu un effet négatif sur la minorité francophone, contrairement à ce qu’exige la Loi. Le gouvernement avait un mois plus tard contesté le tout en Cour suprême, mais avait reculé devant le tollé provoqué par cette décision, notamment à l’intérieur du caucus libéral.

En perspective, l’avocat de la FFCB, Mark Power, qualifie le maintien de la décision comme du « jamais vu en termes de droits linguistiques fédéraux ».

« La Cour d’appel fédéral a ordonné la résiliation d’une entente provinciale fédérale au motif qu’on n’avait pas eu une clause linguistique suffisamment forte. C’est vraiment un gain majeur majeur », concède-t-il.

Modernisation de la Loi sur les langues officielles

C’est dans la foulée de ce jugement en 2018 que Justin Trudeau avait réagi en promettant une modernisation de la Loi sur les langues officielles. Cette décision du juge Gascon avait notamment donné lieu à un appel de Raymond Théberge, des organismes francophones et de sénateurs à moderniser urgemment la LLO.

Mark Power rappelle que cette décision du juge Gascon en 2018 a été une sorte de « réveil » pour les francophones et le gouvernement et que le tout paraît dans le projet de loi de la ministre Ginette Petitpas Taylor près de cinq ans plus tard.

La ministre des Langues officielles Ginette Petitpas Taylor lors d'une annonce à l'Université Saint-Paul.
Le dossier de la FFCB en est un ayant influencé le projet de Loi C-13 de la ministre Ginette Petitpas Taylor. Gracieuseté.

Les retombées du jugement sont incluses dans la modernisation de la LLO où l’on vient renforcer les droits des francophones au niveau de la prise de mesures positives, une section sur laquelle « le Canada français hors Québec mise beaucoup », plaide M. Power. Cela veut dire que les futures décisions du fédéral qui toucheront les minorités francophones devront obligatoirement contribuer à leur épanouissement et leur reconnaissance.

« On est un peu déçu de la décision de jeudi de la Cour suprême, mais quand on prend un pas de recul, c’est un dossier qui se solde très largement avec une victoire », affirme Mark Power.

Un mince espoir

Une porte de sortie restante pour assurer la prestation de services de la part de provinces (dans des champs de compétences partagés) qui auraient respecté la Loi sur les langues officielles a été défaite lors des débats autour de C-13. Une motion conservatrice qui aurait forcé la province à respecter la Loi a été amendée par le NPD et votée unanimement de façon beaucoup moins exigeante par les trois partis.

L'avocat chez Juristes Power Law, Mark Power.
L’avocat chez Juristes Power Law, Mark Power. Gracieuseté

Mark Power souligne que le manque d’exigences claires pour la prestation de services pourra avoir un impact sur les services offerts en français aux immigrants, car il s’agit d’un champ de compétence partagé entre les deux paliers gouvernementaux.

« La décision d’hier – par rapport au statut du français hors Québec – introduit une certaine incertitude par rapport à la capacité du fédéralisme coopératif à bien nous desservir. »

Le dernier recours est politique, appelle l’avocat en direction des sénateurs qui pourraient le modifier lors de leur étude du projet de Loi C-13, une fois devant eux.