Le fédéral recule et ne trainera pas les minorités francophones en Cour suprême
OTTAWA – Moins d’une semaine après avoir annoncé son intention d’amener des minorités francophones en Cour suprême, le gouvernement fédéral recule et n’ira pas devant la plus haute Cour du pays.
C’est ce qu’a annoncé le ministre de la Justice David Lametti mardi après-midi à la période des questions en Chambre des communes.
Le ministre affirme que ça « ne valait pas la peine d’aller de l’avant » dans le dossier, qu’il refuse de qualifier d’attaque envers les francophones.
« C’était un accord complexe. On avait une période très serrée pour renégocier l’accord et dans les circonstances, j’aurais aimé donner une marge de manœuvre à ma collègue, la ministre Carla Qualtrough pour négocier les principes comme il le faut. On était jamais en désaccord avec le substantiel, mais avec l’application du texte par la Cour », explique-t-il.
Il dit qu’il n’a pas eu de pression de la part de collègues dans son caucus et qu’il s’agissait de sa décision de présenter une demande d’appel.
« J’ai réfléchi au cours de la fin de semaine et en tant que procureur général – c’est vrai que mes collègues sont mes clients-, mais la décision m’appartient de porter en appel ou non. »
La présidente de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB), Lily Crist, s’est dite ravie de la décision du gouvernement Trudeau, mais admet que le tout laisse des marques.
« On ne peut pas tourner la page, ça nous montre clairement que nos droits demeurent précaires. »
Pour la présidente, il y a un lien de confiance à rebâtir entre les organismes francophones du pays et les libéraux, souvent qualifiés de champions en francophonie hors Québec.
« Un champion ne vous menace pas de vous emmener devant la Cour suprême, un champion vous comprend et vous soutient. Pour moi, la définition de champion va plus loin que des bonnes intentions que des beaux discours. Il y a une réalité et on a besoin que le gouvernement fédéral tel qu’il soit et se montre leader dans ce domaine-là. On attend plus d’actions positives pour soutenir nos communautés plutôt que de beaux discours. »
La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) a qualifié de « bonne décision » l’annonce de David Lametti soulignant que cet appel « aurait créé une incohérence dans la position du gouvernement fédéral » avec le projet de loi C-13.
Le juge en chef de la Cour d’appel fédérale Marc Noël avait qualifié le fait d’attendre à la toute fin pour déposer une demande de sursis « d’abus de procédure » et de « marasme bureaucratique » de la part d’Ottawa.
« Je suis en train d’essayer de comprendre pourquoi il a employé ces mots parce que c’était un cas complexe. On a un accord complexe entre la Colombie-Britannique et nous, qui touche plusieurs ministères au fédéral et donc il faut prendre le temps qu’il faut. On a été dans les délais prévus dans la loi », soutient David Lametti.
Le fédéral contestait ce jugement qui affirmait qu’il avait manqué à ses obligations linguistiques en signant une entente sans tenir compte de l’impact négatif qu’elle était susceptible d’avoir sur la minorité linguistique francophone.
Les francophones de la Colombie-Britannique contre-attaquent
Si le fédéral a reculé, ce n’est pas le cas de la FFCB qui a déposé mardi soir en Cour suprême une demande d’autorisation en appel portant sur un rejet de la Cour d’appel fédérale.
Selon la fédération, le gouvernement de la Colombie-Britannique aurait dû se souscrire à la Loi sur les langues officielles en offrant un service dans les deux langues officielles dans le cadre d’une entente sur les services et programmes d’aide à l’emploi.
« La demande d’autorisation en appel demande à la Cour suprême de trancher le débat quant à quelle situation le gouvernement du Canada pourra-t-il contracter avec un tiers d’une façon qui lui permettrait d’échapper à la Loi sur les langues officielles. C’est très spécifique et très différent de la partie VII, le gain dans lequel le gouvernement ne fait pas appel », explique l’avocat de la FFCB, Mark Power, de la firme Juristes Power Law.
Cette démarche se veut une « police d’assurance » pour les francophones du pays, eux qui attendent après l’ajout de clauses linguistiques dans la réforme de la Loi sur les langues officielles.
« Malheureusement, le projet de loi C-13 n’inclut pas ces clauses linguistiques là. Mais jusqu’à ce que ça soit fait et que le projet de loi obtienne la sanction royale, la seule chose responsable à faire pour un organisme de défense des droits des minorités est de sauvegarder son levier juridique qui lui permettrait d’atteindre le même objectif en droit », explique Darius Bossé de Juristes Power Law.
Si l’appel est autorisé, il pourrait avoir un impact sur les francophones du reste du pays, notamment dans le cadre des ententes entre les provinces et le fédéral. C’est notamment le cas avec les récents accords sur les garderies à 10$.
« Il y a de plus en plus d’ententes entre les provinces et le fédéral et c’est très bien (…) Mais c’est seulement bon si le français n’est pas oublié, si les droits des francophones et des Acadiens ne sont pas les victimes de la tendance vers le fédéralisme coopératif », soutient M. Power.
Improvisation et amateurisme, dénonce l’opposition.
Pour le député conservateur Joël Godin, cette saga laisse présager des jours difficiles pour les droits francophones du pays.
« Ça démontre que le gouvernement n’est pas en contrôle de ce dossier-là .Ce n’est pas une priorité pour eux les langues officielles et il a attendu à minuit moins 5 pour décider de pas y aller. C’était pas nécessaire, pourquoi avoir attendu aussi longtemps. On voit qu’il y a de l’improvisation et de l’amateurisme chez ce gouvernement », critique le porte-parole en Langues officielles.
Pour les néo-démocrates, les libéraux n’avaient pas le choix de reculer.
« Cette victoire est celle des francophones de la Colombie-Britannique et de partout au Canada, et sert d’avertissement aux Libéraux : on s’attend à ce que le gouvernement se batte pour le français et non pas contre les francophones », estime la critique en Langues officielles Niki Ashton.
Le Bloc Québécois juge que « cette seule tergiversation dénote le profond manque de sensibilité du gouvernement libéral vis-à-vis la langue française ».
« Que ce soit au Québec ou pour les francophones ailleurs au Canada, les libéraux ne saisissent pas l’ampleur que requiert la situation », a déclaré le député Mario Beaulieu.
Ce texte a été mis à jour à 19h20.