John Tory et la francophonie : immenses espoirs, maigre bilan

John Tory Toronto
Le maire de Toronto, John Tory, a démissionné à la suite d'une relation extraconjugale. Crédit image: YouTube Ville de Toronto

TORONTO – Au soir de sa première élection en 2014, John Tory inaugurait son discours de victoire en langue française, un geste inédit et hautement symbolique qui ouvrait le champ des possibles pour les Franco-Torontois. Plus de huit ans plus tard, à l’aube de son départ « forcé », le bilan est proche de zéro.

Que retiendra l’histoire de la politique francophone du maire sortant? Pas grand-chose, s’accordent à dire plusieurs observateurs franco-torontois qui ont suivi de près la politique de M. Tory.

« Cette communauté n’étant pas la plus importante, elle a été plus ou moins ignorée », estime le politologue à l’Université McMaster Peter Graefe à propos des 250 000 résidents francophones et francophiles. « Voir la ville comme un vivre-ensemble n’était pas la vision de M. Tory. Pour lui, Toronto était d’abord un business. Sans compter que d’autres communautés ont toujours eu plus de poids pour faire passer leurs intérêts devant. »

C’est notamment sous son règne que la Bibliothèque publique de Toronto a planifié en 2020 une suppression massive de livres en français. Des milliers de titres devaient ainsi être retirés des étagères torontoises, mais le geste a scandalisé les usagers et provoqué un tollé.

Il aura fallu un coup de fil au maire de la ministre des Langues officielles d’alors, Mélanie Joly, et de son homologue provinciale aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, pour que le réseau municipal de bibliothèques fasse machine arrière. Quelque 26 000 livres, soit près de 18% de la collection de langue française, auraient pu disparaître en toute discrétion et sans concertation, si la communauté francophone ne s’était pas manifestée.

« M. Tory n’a pas mis les francophones complètement de côté comme l’avait fait son prédécesseur » (Rob Ford), rappelle Serge Paul, ancien président de l’ACFO Toronto, saluant sa présence constante lors des levers de drapeau franco-ontarien. Ceci dit, « le bilan est moyen ».

Cet épisode des livres a démontré que « comme tout anglophone, il n’agissait pas en amont mais en fonction de ce que la communauté disait. Il était dans la réaction », note M. Paul. Peut-on parler de décalage entre le discours et les gestes? « Oui, mais ce n’est pas propre à lui : la communauté anglophone en général agit de cette façon. »

C’est également sous l’administration Tory que la Ville s’est retirée, en 2018, de l’Association française des municipalités de l’Ontario (AFMO), un abandon après 28 ans de collaboration et de partenariat dû à un manque de suivi. Là aussi, Toronto finira par reculer pour revenir dans le giron franco-ontarien, trois ans plus tard, en 2021, alors que le maire promettait un retour dès 2019.

Pas d’argent si ça ne rapporte pas

C’est toujours durant les années Tory que le sentier partagé de la rivière Humber, voie commerciale des premiers explorateurs français et haut lieu du patrimoine franco-ontarien et autochtone, s’est dégradé et que des panneaux d’interprétation vandalisés ont été retirés sans être restaurés. Ce sentier pédagogique aménagé en 2011 n’était clairement pas une priorité pour la Ville regrettait Lisette Mallet, ancienne présidente de la Société d’histoire de Toronto à propos de celui qu’elle qualifiait d’homme d’affaires avant d’être maire.

« Pour qu’un projet se concrétise à Toronto, il faut soit une rentabilité, soit un partenariat où tu apportes une large part de l’argent, pourvu que ça ne coûte rien à la Ville », soupirait-elle. Une constante qu’ont vite intégrée les différents porteurs de projet franco-torontois depuis l’arrivée au pouvoir de John Tory.

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Il ne faut pas non plus oublier le changement en 2017 de la politique de communication multilingue qui a entrainé le recul du français dans les documents de la ville. Son conseil municipal a supprimé l’obligation du français dans les documents municipaux lorsqu’une autre langue que l’anglais était présente. Une décision difficile à avaler dans la première ville du pays, alors même que John Tory ne cessait de dire, dans ses discours, que le français est une langue fondatrice du Canada.

Le site internet de la ville et les services d’information au 311 sont accessibles dans respectivement 51 et 180 langues, dont le français, via un outil Google. La municipalité n’assume aucune responsabilité dans l’exactitude de cette traduction.

Trouver un toit à l’UOF et à la Maison de la francophonie : double échec du maire

Tout au long de son mandat, l’art de l’ancien maire aura été d’appuyer publiquement des projets tout en évitant de débourser le moindre argent public ou apporter la moindre logistique. On peut penser à l’Université de l’Ontario français qui n’a pas bénéficié d’un emplacement trouvé par la Ville alors même que M. Tory s’était engagé à tout faire pour y arriver. Deux des trois paliers de gouvernement (provincial et fédéral) avaient trouvé un terrain d’entente à hauteur de 126 millions sur huit ans pour financer ce projet phare ayant élu domicile près du lac Ontario.

Plusieurs acteurs se sont aussi interrogés sur son manque d’implication dans le dossier de la Maison de la francophonie de Toronto qui, malgré l’appui public du premier magistrat de la ville à moult reprises, a dû se débrouiller toute seule pour se trouver une adresse. Toujours en suspend, le projet compte sur l’aide financière du fédéral et de la province, mais pas de la Ville, excepté sous forme hypothétique d’exemption de taxe.

« Je ne suis pas sûr qu’un autre maire sera capable de faire mieux que John Tory » – Serge Paul

« Il serait possible de contribuer à une maison francophone grâce à une contribution immobilière », déclarait-il à ONFR+ en 2015, évoquant l’ancien hôtel de ville. Une impasse là encore. Mais le porteur du projet Kip Daechsel ne lui jette pas la pierre : « La Ville n’a pas les poches profondes (financièrement) pour ces choses-là », comprend-il, appréciant le soutien public et l’intérêt que John Tory a toujours démontré dans ce dossier.

Même si tout ne dépend pas du maire en matière de politique municipale, sa gestion des affaires de la cité s’est reflétée jusque dans les résultats du comité aux affaires francophones. Certes, il a appuyé sa création, mais peu de résultats tangibles sont sortis de cet espace de discussion dont la fréquence des réunions et le caractère consultatif ont empêché toute avancée.

« C’est le seul outil qu’on nous a donné. C’est comme ça que la ville entend la voix des habitants. Je ne suis pas sûr qu’un autre maire sera capable de faire mieux que John Tory », croit M. Paul, pointant un « problème de système ».