Une conférence organisée ce jeudi à l’Université d’Ottawa a traité de la notion d’égalité réelle au sein de la nouvelle Loi modernisée sur les langues officielles. Crédit image : Lila Mouch

OTTAWA – Une conférence organisée ce jeudi à l’Université d’Ottawa, réunissant plusieurs chercheurs et politologues, a traité de la notion d’égalité réelle au sein de la nouvelle Loi modernisée sur les langues officielles (LLO) du gouvernement fédéral. Les conclusions de cette table ronde estiment que l’objectif de la Loi n’est pas l’égalité, mais que l’on observe une progression vers celle-ci.  

« Il faut demeurer extrêmement vigilants », alerte la politologue du Collège militaire royal à Kingston, Stéphanie Chouinard, panéliste lors de la conférence.

« Est-ce que l’objectif, c’est l’égalité ou est-ce que l’objectif, c’est la progression vers l’égalité? Ce n’est pas parce que cela est codifié que le travail est terminé. »

En 2021, la première réforme, proposée par la ministre Mélanie Joly, s’intitulait : Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada. « On s’interroge sur le sens de cette réforme législative aujourd’hui », déclare François Larocque, titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droit et enjeux linguistiques de l’Université d’Ottawa.

Autour de cette réflexion, le Centre de recherche sur les francophonies canadiennes (CRCCF) a invité François Larocque et Stéphanie Chouinard à débattre, tout comme l’avocat de Juristes Power Chris Casmiro, l’avocate au Commissariat aux langues officielles du Canada Isabelle Hardy et la professeure agrégée d’histoire à la faculté Saint-Jean de l’Université d’Alberta, Valérie Lapointe Gagnon.

Le professeur à l’Université d’Ottawa, François Larocque, a animé la table ronde. Crédit image : Lila Mouch

Après le projet de loi C-32 de la ministre Joly en 2021, c’est le projet de loi C-13 de la ministre Petitpas-Taylor en 2023 qui aurait poussé plus loin la notion d’égalité réelle, s’accordent les experts.

Mais l’égalité réelle n’est pas une nouveauté, indique l’avocat Chris Casmiro.

D’après lui, c’est notamment le cas recherché dans les tribunaux et « c’est un concept qui est développé dans beaucoup de décisions de la Cour suprême. C’est un concept qui ne touche pas seulement aux droits linguistiques, mais qui est développé dans des décisions de droit linguistique ».

L’immigration francophone : un progrès vers l’égalité réelle

Atteindre l’égalité demeure l’intention derrière la Loi sur les langues officielles et M. Casmiro estime qu’il faut reconnaître que cette recherche s’est faite dans les coulisses du pouvoir. « Nous savons qu’entre C-32 et C-13, il y a un énorme écart. »

« L’égalité réelle, ça veut dire que nous allons traiter les gens différemment pour répondre à leurs besoins différents et arriver à un résultat égal. »

Autrement dit, dans le contexte des droits linguistiques, il est déterminé qu’il faille traiter les minorités, donc les communautés francophones hors Québec et les communautés anglophones au Québec, de manière différente, pour ensuite arriver à de l’égalité entre ces communautés. Dans la Loi sur les langues officielles, cela est dit explicitement à plusieurs reprises.

Chris Casmiro est avocat chez Juristes Power. Son expertise porte principalement sur les droits linguistiques et les droits de la personne. Crédit image : Lila Mouch

L’avocat indique que l’article 44.1 oblige le ministre de l’Immigration à adopter une politique d’immigration francophone, pour rétablir et accroître le poids démographique des francophones.

« Non seulement le ministre doit remplir la nouvelle cible de 6,1 %, mais il doit cibler de manière plus ambitieuse et faire sa job pour assurer la pérennité et la vitalité du français pour les générations à venir. »

D’après François Larocque, cet article prend acte du déclin de la francophonie canadienne. Cependant, Stéphanie Chouinard considère que « la cible du 6,1 % sur le terrain est quelque peu dérisoire à certains endroits dans le pays ».

Le concept d’égalité réelle : l’idée force des commissaires de 1963

La Loi sur les langues officielles n’est qu’une des recommandations de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (aussi appelée Commission Laurendeau-Dunton), et « pas la recommandation principale », rappelle Valérie Lapointe-Gagnon.

Valérie Lapointe-Gagnon est professeure agrégée d’histoire à la Faculté Saint-Jean de l’Université de l’Alberta et présidente de l’Acfas-Alberta. Crédit image : Lila Mouch

L’idée était de faire en sorte qu’être francophone au Canada ne soit pas un obstacle à l’accès à l’éducation, à l’accès à des carrières aussi bien rémunérées que celles des anglophones et à l’accès à des services qui ne soient pas seulement au fédéral.

« La Loi qui est née de ça, c’est un peu l’éléphant qui a accouché d’une souris », croit-elle.

Le rapport réalisé de 1967 à 1970 disait :

  • « Notre enquête jusqu’ici nous donne le sentiment que les Canadiens de langue anglaise en général doivent en venir à reconnaître l’existence au Canada d’une société francophone vigoureuse et à s’intéresser davantage aux aspirations, aux frustrations et aux réalisations des Canadiens français, tant au Québec que dans les autres provinces. »

La majorité n’a pas besoin d’un traitement spécial, ayant tous les outils pour se bâtir, estime l’historienne. « Il n’y aura égalité linguistique dans notre pays que si les francophones des autres provinces obtiennent un traitement équivalent à celui que reçoivent, actuellement, les anglophones au Québec. »

Mme Lapointe-Gagnon estime que la conception de l’égalité des années 1960 est à réenvisager. L’objectif ne pourrait être atteint « avec une majorité qui n’est pas consciente de ses privilèges et qui n’est pas prête à partager avec nous ».

À ce titre, la politologue Stéphanie Chouinard affirme qu’en Ontario, les jeunes anglophones n’apprennent pas ce qu’est le Règlement XVII. 

« Alors que les élèves franco-ontariens apprennent pourquoi leurs grands-parents se sont battus pour des écoles, les jeunes de la majorité ne le savent pas. Évidemment, lorsqu’ils voient 14 000 personnes dans la rue se battre pour une université franco-ontarienne, ils se disent : what is going on? »

Stéphanie Chouinard
Stéphanie Chouinard est professeure agrégée de sciences politiques au Collège militaire royale du Canada et à l’Université Queen’s. Crédit image : Lila Mouch

Pour avoir cette empathie-là, il faut en faire la promotion, il faut l’éducation. « Ce n’est vraiment pas plus compliqué que ça », ajoute l’avocate Isabelle Hardy.

L’égalité des langues dans la Charte canadienne des droits et libertés

Parmi les trente-quatre articles de la Charte canadienne des droits et libertés, ceux de seize à vingt-trois portent sur les langues du pays. C’est une partie importante de la Constitution du Canada et c’est pourquoi les experts s’interrogent sur le respect de la Charte au sein de la Loi modernisée.

Pour l’avocate du Commissariat aux langues officielles, c’est un pari gagné. « Il n’y a rien dans la Charte qui empêche le Parlement de favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage des langues officielles. »

Isabelle Hardy est avocate au Commissariat aux langues officielles du Canada. Elle offre ses conseils aux commissaires sur l’interprétation de la Loi sur les langues officielles. Crédit image : Lila Mouch

L’avocate rappelle que le gouvernement s’engage à renforcer les possibilités d’apprentissage dans la langue de la minorité, mais aussi à favoriser les occasions d’apprentissage et à viser le continuum de l’éducation de la garderie jusqu’au postsecondaire. De plus, le gouvernement tiendra compte des besoins des minorités dans l’élaboration des stratégies d’aliénation d’immeubles fédéraux excédentaires.

La politologue Stéphanie Chouinard nuance tout de même : « Il y a énormément de vigilance à avoir sur le terrain. Ce n’est pas parce qu’on a un beau nouveau texte de loi avec des nouvelles responsabilités, noir sur blanc, qu’il va y avoir un impact sur le terrain », conclut-elle.