La Place des Arts du Grand Sudbury souligne son deuxième anniversaire. Crédit image : Inès Rebei

SUDBURY – Il y a deux ans, la Place des Arts du Grand Sudbury (PDA) ouvrait ses portes après un combat acharné de 14 années mené par la communauté francophone du Nord. Malgré de bons coups, aujourd’hui, c’est à une autre bataille que se livre l’organisme du centre-ville, celle de la rentabilité financière.

Deux ans après son ouverture, la PDA, ce sont 310 événements, plus de 19 000 billets vendus, et 30 000 spectateurs séduits. Derrière ces chiffres s’en cachent d’autres, qui témoignent de la quête encore inachevée de l’organisme vers l’équilibre budgétaire.

« La situation fait en sorte qu’on a encore un manque à gagner important au niveau du fonctionnement », constate Jean-Gilles Pelletier, directeur général de la PDA, en entrevue avec ONFR.

Jean-Gilles Pelletier pose ses valises dans le Nord avec pour mission de faire rayonner la culture. Crédit image: Simon Lefranc
Jean-Gilles Pelletier est confiant que le déficit ne perdurera pas dans les prochaines années. Archives ONFR

À l’origine, les trois paliers de gouvernement devaient chacun fournir annuellement 260 000 $ pour le fonctionnement de base de la PDA. Aujourd’hui, ce sont 260 000 $ du municipal, 125 000 $ de Patrimoine Canada, et 75 000 $ du Conseil des arts de l’Ontario que l’organisme dit recevoir, soit 320 000 $ de moins que prévu.

Les frais d’opération sont estimés à 425 000 $, ce qui comprend l’électricité, le chauffage et les taxes, un montant plus élevé que les projections budgétaires initiales pré-COVID, selon M. Pelletier.

À ceux-ci s’ajoutent 450 000 $ par année pour les services de base comme les salaires des employés, celui d’une agence de développement avec laquelle l’organisme fait affaire, les frais des services et ceux de la comptabilité.

500 000 $ de sous-financement

En outre, les centres d’entreprises comme la location de salles, la vente de services traiteurs, la billetterie, la vente de services techniques et le restaurant bistrot sont encore loin de constituer une source de profits.

En tout, ce sont donc entre 415 000 $ et 500 000 $ qui manquent à la PDA pour arriver à un équilibre annuel, confie M. Pelletier.

C’est normal qu’un organisme qu’on met debout ait plusieurs périodes d’ajustement dans l’évolution et le développement. »
— Pierre-Paul Mongeon

Selon Pierre-Paul Mongeon, ex-directeur général de La Nuit sur l’étang, la situation à la PDA est celle que rencontrent tous les organismes qui débutent. Il cite en exemple de grandes institutions comme le Centre national des arts (CNA) à Ottawa ou le Musée canadien de l’Histoire à Gatineau, qui ont pris selon lui une dizaine d’années pour être vraiment sur les rails.

Il ajoute tout de même que « souvent, on nous compare avec des organismes au Québec ou d’Ottawa. Il faut comprendre qu’on est différent. On est issu d’une communauté francophone minoritaire. Nous n’avons pas la même masse critique ».

La construction de la Place des Arts a duré plus de trois ans. Source : Place des Arts.

Des défis externes nuisent également au rayonnement de la PDA selon Geneviève Leblanc, directrice générale du Salon du livre du Grand Sudbury. Elle cite la crise des opioïdes au centre-ville, le manque de logements, la pandémie, l’inflation ou encore la perte des étudiants et professeurs francophones après la crise à la Laurentienne.

Des ajustements en cours de route

« On ne peut pas charger ce qu’on voudrait en termes de prix pour la location de salles ou pour les services traiteurs, le marché à Sudbury a des limites », explique Jean-Gilles Pelletier.

Il précise cependant que les services traiteurs et le bistrot ne sont aujourd’hui plus déficitaires, contrairement à la première année, et ce notamment après avoir revu à la baisse le nombre d’options sur le menu et avoir revu les heures d’ouverture.

Avant que sa carte ne soit revisitée, le bistrot enregistrait des pertes allant de 20 000$ à 30 000$ par mois. Source : Place des Arts

« Au-delà de ça, ce ne sont pas les centres d’entreprise de la PDA qui arrivent à financer les frais d’opération. » Le directeur général indique être en train de développer de nouveaux services pour des événements spéciaux, plus rentables, comme des petites conférences dont la taille est plus adaptée à la PDA. 

D’ailleurs, le Centre franco-ontarien de folklore (CFOF), l’un des organismes fondateurs, a reçu l’an dernier le congrès de l’organisme Conteurs du Canada, « une très bonne expérience de tous les côtés » selon le directeur général du CFOF, Patrick Breton.

Le bâtiment de la PDA a été l’un des 10 lauréats de 2024 des Prix d’excellence en design de l’Association des architectes de l’Ontario, et a remporté deux prix lors de la 16e édition des Grands Prix du Design en 2023. Source : Place des Arts

Nouveau plan d’affaires

La PDA entreprend la réalisation d’un nouveau plan d’affaires, pour lequel l’organisme a reçu 125 000 $ du gouvernement fédéral et dont les recommandations devraient être présentées à la fin décembre.

« Nos rencontres indiquent que la PDA devrait se doter d’un nouveau mandat pancanadien axé sur des activités et services intersectorielles », rapporte M. Pelletier. Le directeur général a bon espoir que ces nouvelles activités permettront de glaner près de 300 000 $ de plus de la part des deux paliers gouvernementaux pour financer les opérations l’an prochain.

La ville du Grand Sudbury prévoit plus de stationnement au centre-ville avec le projet de construction d’un nouvel aréna communautaire. Archives ONFR

En plus de demander du financement supplémentaire aux bailleurs de fonds, il estime nécessaire un mécanisme de levée de fonds perpétuel. La phase silencieuse d’une campagne de financement a d’ailleurs été lancée et vise à réunir 1,8 million de dollars d’ici trois ans.

Quant à la possibilité d’ouvrir la PDA la fin de semaine, Jean-Gilles Pelletier affirme : « Pour l’instant c’est comme ça parce que ça coûterait cher d’avoir du personnel juste pour la garder ouverte alors qu’il n’y a pas de programmation à l’intérieur. » 

Les défis et atouts du centre-ville 

La localisation de la Place des Arts avait été pensée afin de mettre la francophonie au cœur de la ville, mais aussi pour contribuer à revitaliser le centre-ville.

« Ça va être un travail de longue haleine. Il y a des mordus de culture. Il y en a d’autres qui ne la voient pas. »

S’il reste encore à séduire un public néophyte, la PDA compte déjà des fidèles et de nombreux bénévoles qui ne comptent pas les heures passées dans l’antre de la culture franco-ontarienne. 

« Lors de la levée de fonds, j’ai acheté un siège que j’ai dédié à mon fils, l’auteur-compositeur-interprète Stef Paquette. Un peu plus tard, il a fait la même chose en m’offrant un siège comme cadeau de fête. Comment ne pas se sentir chez nous quand deux fauteuils personnalisés nous attendent? », se réjouit Germaine Paquette, bénévole de la PDA. 

Depuis la pandémie, le nombre de personnes fréquentant le centre-ville a nettement chuté. Crédit image :  Léo Duquette

La Ville de Sudbury est, d’ailleurs, en train de développer un projet pour l’installation d’un carrefour culturel au sein de l’hôtel de ville, en plus de la construction d’un nouvel aréna au sud du centre-ville.  Jean-Gilles Pelletier ne craint pas la compétition. « C’est fantastique, on a besoin d’un effort commun pour ramener les gens au centre-ville. » 

Des bons coups 

Selon le directeur général, ces deux premières années ont montré que la Place des Arts a satisfait les attentes et s’est démarquée comme lieu culturel rassembleur. 

« Si l’on pense sérieusement à tout ce qui s’est passé à la PDA dans les deux dernières années, c’est vraiment extraordinaire. »
— Jean-Gilles Pelletier

On peut penser à la tenue, quelques jours seulement après l’inauguration de la PDA, du dixième Salon du livre du Grand Sudbury. « On avait à peine déballé nos boîtes, mais ça s’est très bien passé, le public était au rendez-vous », se rappelle Geneviève Leblanc.

La cinquantième Nuit sur l’étang a réuni de grands noms de la musique franco-ontarienne du Nord tels que le groupe En Bref. Crédit image : Inès Rebei

Outre les sept membres fondateurs, plus de 30 organisations, associations, clubs et institutions ont loué des salles et tenu des événements à la PDA.

Des ententes de location annuelle ont aussi été établies avec sept partenaires externes, dont la Sudbury Symphony Orchestra, le CTV Christmas Children Telethon, Jazz Sudbury, Northern Lights Festival et Happiness is dancing.

Parmi les réussites, on compte les spectacles à guichets fermés de Gregory Charles et de Bruno Pelletier, dont les places se sont envolées en l’espace de quelques heures, mais aussi un concert de l’Orchestre symphonique qui a joué le requiem de Mozart avec une centaine de musiciens sur scène.

« Les gens arrivaient en limousine, en avant le tapis rouge avec des robes de gala, des smokings, c’était malade », se rappelle M. Pelletier au sujet du Gala d’ouverture du Festival Boréal. 

La librairie-boutique est le fruit d’une collaboration entre les Éditions Prise de parole, le Carrefour francophone de Sudbury, le Salon du livre du Grand Sudbury et la Place des Arts. Crédit image : Inès Rebei

Autre succès, l’ouverture de la très attendue librairie-boutique, officiellement inaugurée le 26 janvier dernier après plus d’un an de recherche pour la direction générale. Bien que les données sur la vente de livres ne soient pas encore disponibles, la directrice générale Monica Meza Giron confie que les données de fréquentation montrent un intérêt croissant pour l’établissement.

Pour le mois de février, la librairie-boutique a enregistré 271 visites, contre 376 pour le mois de mars et 458 visites en date du jeudi 25 avril pour le même mois. 

« Ce n’est pas juste une place pour faire des activités culturelles, c’est une place qui répond à un besoin social. »

Selon elle, les journées sont très occupées et la nouvelle de l’ouverture de la librairie Panache continue d’attirer des curieux.

Une meilleure collaboration interne

Depuis que les sept organismes fondateurs se sont retrouvés sous le même toit, la collaboration est devenue plus facile. 

« On avait l’habitude de travailler ensemble depuis trente ans, mais c’est sûr que ça facilite la chose qu’on soit tous sous le même toit et qu’on ait accès aux mêmes installations », constate Geneviève Leblanc.

De gauche à droite, Jean-Gilles Pelletier, Geneviève Leblanc, Marie-Eve Proulx (directrice artistique du TNO), Marc Serré (député fédéral de Nickel Belt) et Pierre-Paul Mongeon. Source : Place des Arts

En témoignent le partage de l’espace de la Galerie du Nouvel Ontario (GNO) pour la Foire du livre, ou encore les soirées jeux de société organisées par la librairie Panache, qui ont lieu au bistrot. Monica Meza Giron souligne : « Ce ne sont pas les soirées où l’on vend le plus de livres, mais ce sont celles où les gens restent le plus longtemps et s’en vont en disant : c’est quand le prochain? »

Un autre exemple est le passage du musicien et conteur Thomas Hellman au festival Les Vieux m’ont conté, en octobre dernier. Le spectacle était présenté par La Slague, en collaboration avec le CFOF et le Salon du livre. 

« Thomas Hellman, c’est des contes grecs avec de la musique moderne. Ça rentre dans la ligne directement », raconte Patrick Breton.

Selon Patrick Breton, il y a cinq ou six fois plus de gens qui passent devant le CFOF depuis que l’organisme est situé au centre-ville. Crédit image : Rachel Crustin

Pas juste pour les francophones

« La programmation de la Place des Arts est marquée par une ouverture à l’Autre – les communautés franco et anglo-canadiennes ou racisées, issues des Premiers Peuples, de la diversité de genre, et ce, sans distinction de statut social », peut-on lire sur le site de la PDA. 

« C’est important de faire en sorte qu’on soit disponible et ouvert à tout le monde, pas juste la communauté francophone. »
— Jean-Gilles Pelletier

« On n’a jamais été fermés. Les gens ont l’idée que c’est juste pour les francophones, parce qu’on n’avait pas d’endroit rassembleur pour les francophones », lance Patrick Breton.

« C’est aussi important maintenant que ça va l’être dans le futur, on n’a pas changé de vision », ajoute Jean-Gilles Pelletier. Si recruter du personnel bilingue reste un défi important, il s’agit d’un critère de premier plan, rassure-t-il.

Monica Meza Giron aimerait voir plus de participation au Club de lecture. Crédit image : Inès Rebei

Même constat à la librairie-boutique, où de plus en plus de personnes ne parlant pas français franchissent les portes : « Il y en a vraiment beaucoup qui viennent pour apprendre et pratiquer leur français, ce n’est pas juste des francophones. »

« Mes amis anglophones adorent la PDA. Je fais du bénévolat lors des activités anglophones et les gens nous remercient de l’accueil chaleureux », raconte de son côté Germaine Paquette.

Paul A. Gauthier, qui vient une fois par mois pour assister aux spectacles du Théâtre du Nouvel Ontario (TNO) confie : « J’emmène, de temps à autre, des amis qui sont franco-friendly. Ils adorent venir voir ce que nous offrons comme variétés de spectacles. »