Les francophones ne sont « que 3 % de la population », selon Ford

Le premier ministre, Doug Ford. Archives ONFR+

TORONTO – Alors qu’Amanda Simard, seule députée franco-ontarienne du caucus progressiste-conservateur, a claqué la porte de son parti ce matin, Doug Ford ne semble toujours pas se préoccuper de la colère des Franco-Ontariens. En Chambre, il a invité les francophones à d’abord remplir les programmes déjà offerts en français, plutôt que d’exiger une nouvelle université. Le premier ministre a ensuite utilisé une statistique qui diminue leur poids démographique.

ÉTIENNE FORTIN-GAUTHIER
efgauthier@tfo.org | @etiennefg

« Même s’ils ne sont que 3 % de la population en Ontario », a lancé Doug Ford, en Chambre, avant de prendre une pause et de poursuivre, « ils jouent un rôle majeur en culture, dans l’histoire, dans différentes sphères des affaires ». Mais la première partie de sa phrase a fait sursauter l’opposition officielle.

« Même si? Même si? », criait le néo-démocrate John Vanthof, qui venait de l’interpeller sur les coupes francophones. D’autres criaient que le premier ministre ne connaissait pas sa population francophone, encore moins était-il sensibilisé à l’héritage des peuples fondateurs du Canada.

Selon le dernier recensement, 4,1 % des Ontariens ont le français comme langue maternelle ou parlent le français à la maison. Selon la définition inclusive, acceptée par le gouvernement ontarien, les Franco-Ontariens composeraient cependant 4,7 % de la population ontarienne.

Avant d’imaginer pouvoir ouvrir une université franco-ontarienne, Doug Ford a invité les Franco-Ontariens à combler les places disponibles dans les 300 programmes en français déjà existants dans la province. « Et on ne peut pas annuler quelque chose qui n’existe pas encore! », a-t-il lancé au sujet de l’Université de l’Ontario français.

Ses propos ont mis en furie le néo-démocrate John Vanthof de la circonscription à forte population francophone de Timiskaming-Cochrane.

« D’entendre le premier ministre dire « que même s’ils ne composent que 3 % »… Les francophones sont l’un des deux peuples fondateurs, c’est insultant. Les francophones de partout dans la province seront insultés. Il ne comprend pas les francophones », tranche-t-il. « En plus, il n’avait même pas le bon pourcentage! », a-t-il renchéri.

« C’est honteux! Honteux! Je ne peux pas croire qu’un premier ministre, qui doit représenter aussi les Franco-Ontariens, nous dise qu’on est seulement 3 %, sans même vérifier ou se corriger », a affirmé France Gélinas de la circonscription de Nickel-Belt. « Pour lui, un peuple fondateur peut être ignoré, car ça ne fait pas l’affaire de son parti. On s’attend à un minimum de respect d’un premier ministre. Il ne rencontre pas la barre », a-t-elle ajouté.

Devant la presse, la ministre aux Affaires francophones, Caroline Mulroney, a remis les pendules à l’heure. « Le chiffre du nombre de francophones est entre 4 et 5%. Nous espérons que nous pourrons introduire des politiques pour augmenter ce chiffre, c’est un des projets de notre ministère », a insisté Mme Mulroney.

Quant à Doug Ford, elle a assuré qu’il travaillait aussi pour les Franco-Ontariens. « Il est très au courant des enjeux d’importance des Franco-Ontariens. On s’en parle tous les jours », a-t-elle ajouté.

Le Parti PC en mode gestion de crise

La décision d’Amanda Simard a placé le Parti progressiste-conservateur (Parti PC) en mode gestion de crise. Un porte-parole du parti a soutenu que si la députée n’avait pas quitté par elle-même, elle aurait de toute façon été chassée par ses pairs, lors d’une rencontre du caucus du parti en matinée. Il a également répété que la députée faisait bande à part depuis plusieurs jours, ne répondant pas « aux appels, aux courriels et aux textos du parti ».

Todd Smith, le leader parlementaire du parti, a affirmé que l’ensemble des députés du Parti progressiste-conservateur appuient les décisions de leur chef et qu’ils sont tous unis. Lisa McLeod, pour sa part, a affirmé qu’Amanda Simard allait « devoir vivre quatre longues années dans l’opposition », tout en sous-entendant que la nomination de la jeune députée s’était fait de manière douteuse à l’époque de Patrick Brown.

En matinée, le Parti libéral, lui, multipliait les déclarations publiques saluant la décision de la jeune élue. « Ce qu’elle dit, c’est que ce que vous faites à ma communauté, ce n’est pas correct. Je ne peux plus m’asseoir avec vous », a soutenu John Fraser, chef de la formation politique. « Le gouvernement n’écoute pas les Franco-Ontariens, leur histoire, leurs symboles, leurs difficultés à obtenir des services », a-t-il ajouté.

Marie-France Lalonde affirme qu’aucune discussion n’est en cours pour la recruter au sein du Parti libéral. « On doit respecter sa décision. C’est certain que si elle appelle… je veux l’aider, on ne veut pas qu’elle soit isolée. Comme parlementaire, on devrait être une grande famille », a dit la députée

Il faut dire qu’avec une nouvelle députée, le Parti libéral pourrait atteindre le seuil de huit députés nécessaires pour devenir un parti officiel. Mais le temps presse, car Doug Ford souhaite augmenter ce nombre à douze députés, prochainement.

Tout s’est joué, mercredi

La scène en disait déjà très long. Mercredi, Amanda Simard s’était fait refuser par son parti un droit de parole lors d’un débat sur la crise linguistique. Sagement assise à son banc, elle regardait donc un à un ses collègues se prononcer sur le dossier de l’heure.

Mais plutôt que d’aborder les derniers événements, les députés de l’équipe de Doug Ford ont décidé de meubler le temps. Certains observateurs ont dénoncé dans les coulisses des propos manquant de liens avec la francophonie. Jeremy Roberts, député d’Ottawa-Ouest-Nepean, a parlé de sa professeure de français au primaire. Gila Martow de Thornhill a suggéré qu’un café francophone ouvre ses portes. Natalia Kusendova s’est lancée dans le récit de l’histoire française au Canada.

Amanda Simard laissait voir et entendre son insatisfaction. « C’est n’importe quoi! », a-t-elle lancé.

Elle a pu finalement obtenir un droit de parole. Ses propos à la défense du français, livrés avec aplomb et émotion, ont fait parler d’un océan à l’autre. Au terme de la journée, la députée de Glengarry-Prescott-Russell admettait être ébranlée par les actions de ses pairs.


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