Université Laurentienne : le recteur Haché sort du silence

Le recteur de l'Université Laurentienne Robert Haché. Gracieuseté

SUDBURY – Cinq mois après sur la situation qui a poussé l’Université Laurentienne à supprimer 200 postes de professeurs et 69 programmes, dont 28 en français, ONFR+ s’est entretenu avec son recteur, Robert Haché.

« Pourquoi l’Université Laurentienne s’est-elle retrouvée dans la situation actuelle?

Il y a une série de choses – certaines peut-être pas sous le contrôle de l’université – qui sont survenues sur plusieurs années qui ne nous ont pas laissé le choix de prendre les étapes que nous avons prises. Je ne peux pas vous dire qu’il y a une cause déterminée.

La Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) a mis beaucoup de monde en colère, pas seulement à Sudbury, mais à travers le Canada. Une loi au niveau fédérale a même été déposée pour éviter que toute autre université invoque cet outil dans le futur. Qui a pris la décision d’utiliser ce processus?

C’est le conseil des directeurs qui a pris la décision d’entamer le processus… il n’y avait pas d’autre choix. On a exploré durant l’année précédente d’autres opportunités pour surmonter les défis, mais quand on est arrivé à la fin janvier, il restait seulement deux options. Un : fermer les portes. Deux : la LACC.

Vous dites qu’il n’y avait pas d’autre alternative qu’une restructuration. Comment l’institution est-elle arrivée à un tel point de non-retour?

Normalement, dans les universités, il y a un renouvellement, mais une des choses que j’ai constatées quand je suis arrivée il y a deux ans à La Laurentienne, c’est qu’il n’y a aucun programme qui a été fermé dans les 18 dernières années et c’est un défi. À la fin de notre première année, on a suspendu 17 programmes. Évidemment, ç’a été trop peu trop tard.

Tout le monde a été très surpris de voir l’ampleur de la situation le 12 avril, un peu plus de deux mois après avoir entamé le processus de la LACC. Pourquoi personne n’a-t-il levé un drapeau rouge avant le 1er février?

Quand j’ai commencé à faire une investigation détaillée sur le cadre financier de l’université l’an passé, en juillet-août, c’est là qu’on a vu la situation complexe (…). On n’avait pu vraiment de choix. Je me souviens qu’à l’automne passé, on avait dit qu’on avait des défis financiers significatifs. On ne l’a pas caché.

L’Université Laurentienne. Archives ONFR+

Des fonds de recherche destinés aux chercheurs ont été utilisés par l’Université afin de payer ses propres factures. Reconnaissez-vous une gestion abusive ou frauduleuse de certains fonds?

Je ne fais pas de commentaires sur la situation antérieure à mon arrivée. Tout ce que je peux vous assurer, c’est que depuis que je suis arrivé, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour m’assurer que les fonds sont bien gérés.

Les programmes en français ont été deux à trois fois plus coupés que ceux en anglais. Pourquoi un tel déséquilibre?

On a supprimé 28 programmes francophones et il nous en reste 33. 10 de ces 28 programmes avaient zéro étudiant. Aucun étudiant n’était enregistré dans les quatre années de chaque programme. C’était des programmes qui n’avaient aucun intérêt pendant au moins quatre ans. Pour les 18 autres programmes, au total à travers les quatre années, il y avait environ 160 étudiants. C’est à peu près deux à trois étudiants par année pour chaque programme.

Pourtant, plusieurs étudiants ont perdu des cours offerts par ces programmes. Par exemple, un étudiant en éducation n’a plus de programme d’histoire, de géographie, de philosophie ou de mathématiques. Êtes-vous conscient de ça?

Je suis absolument conscient de ça. Les programmes ont été fermés, mais pas nécessairement les cours. On continue d’offrir des cours de philosophie par exemple. Pour des programmes comme éducation, on reconnaît que certains cours doivent être offerts pour avoir un degré. On continue à offrir des cours, mais pas nécessairement des programmes.

Un des programmes coupés a particulièrement consterné dans la communauté : celui de sage-femme, car il était subventionné entièrement par le gouvernement. Pourquoi l’avoir supprimé?

Il y a trois programmes de ce type en Ontario : à McMaster, à Ryerson et chez nous. Ryerson et McMaster avaient 30 étudiants pour un programme, nous, 30 étudiants pour deux programmes, un en français et l’autre en anglais, donc, deux fois plus de coûts, mais on recevait le même financement pour deux programmes que les autres universités.

Pourquoi n’avez vous pas sollicité l’aide du gouvernement Ford pour sauver le programme en français?

Il y a eu des conversations avec les gouvernements. Ils reconnaissaient qu’on offrait deux programmes avec les mêmes ressources que les universités qui offraient un seul programme et qu’on l’offrait dans les deux langues et qu’on avait 30 étudiants pour deux programmes. Ce sont les faits et ils ont été bien présentés au cours des années mais, en fin de compte, on n’a pas eu plus de subventions.

La fin du programme de sage-femme a créé beaucoup de colère dans la communauté au moment de sa suppression. Archives ONFR+

Des employés ont dit s’être sentis « humiliés et insultés » dans la façon dont ils ont été congédiés le 12 avril. Est-ce que vous regrettez la manière dont cela a été fait?

Ç’a été une journée très difficile. Nous avons suivi les meilleurs conseils que nous avons pu obtenir pour gérer le processus le plus humainement possible, tout en reconnaissant que le tout a été fait dans la même journée. Est-ce que ça a été un processus idéal? Absolument pas. On aurait aimé faire quelque chose de mieux (…). J’ai des regrets d’avoir été obligé de congédier du très bon monde. (…) On n’avait pas le choix.

La ministre des Langues officielles Mélanie Joly a dit par le passé qu’elle aurait aidé si elle avait su la gravité de la situation. Le Toronto Star a aussi rapporté que vous aviez demandé 100 millions de dollars à la province. Est-ce qu’un montant d’argent aurait pu sauver l’Université Laurentienne?

De façon fondamentale, La Laurentienne avait besoin d’une restructuration, car les dépenses excédaient les revenus. Un montant d’argent aurait soutenu l’université pour un ou deux ans, mais pour vraiment corriger les défis de l’université. Il fallait une restructuration. Est-ce que ça aurait pu être facilité avec plus de support du fédéral ou du provincial? Peut-être, mais ce n’est pas la réalité qu’on a vécue. S’il y avait eu d’autres options, on les aurait prises.

Avez-vous parlé avec la nouvelle ministre des Collèges et des Universités, Jill Dunlop?

J’ai eu la chance de lui parler à quelques occasions. On parle avec le ministère toutes les semaines. On lui (Jill Dunlop) a donné une mise à jour sur la situation de La Laurentienne, nos projections et comment on va s’y prendre pour pouvoir sortir du processus.

Vous a-t-elle offert un vote de confiance concernant le mandat bilingue de La Laurentienne?

Il faudrait lui demander. Mais de notre côté, on lui a clairement indiqué que notre mandat était bilingue et triculturel et que c’était le futur de notre université.

La ministre des Collèges et Universités, Jill Dunlop, se retrouve avec le dossier de l’Université Laurentienne à gérer. Source : compte Twitter Jill Dunlop

Vous avez récemment obtenu une approbation de la Cour pour allonger le processus judiciaire jusqu’au 31 janvier 2022. Êtes-vous en mesure de dire si la situation pourrait prendre fin à ce moment-là?

Ça ne veut pas dire nécessairement que le processus va prendre fin le 31 janvier. Ça peut être quelques semaines de plus d’un bord ou de l’autre. On a encore quatre mois d’ici là pour accomplir notre plan avec nos créditeurs (…). On ne peut pas être dans cette situation indéfiniment. Si on n’est pas sortis à la fin janvier, ça ne devrait pas tarder, car nous n’allons pas être capables de continuer jusqu’à l’été prochain dans notre situation actuelle.

De nouvelles coupes de programme sont-elles à craindre dans les prochains mois?

Avec les étudiants qui sont de retour sur le campus, nos chiffres sont bons, mais un petit peu en dessous de nos projections (…). Il y a eu de gros changements qui se sont produits avec la situation au mois d’avril et qui ne devraient pas se représenter. Tout l’ouvrage qu’on fait, c’est pour éviter que ça l’arrive une deuxième fois. En sortant de la LACC, on doit être une dans une situation financière pour être soutenable pour l’avenir qu’on prévoit.

Plusieurs personnes, dont d’anciens employés, ont réclamé votre départ et vous accordent le blâme pour la situation dans laquelle l’établissement se trouve actuellement. Ce qui est arrivé est-il de votre faute?

Je comprends le désir de simplifier la chose en mettant le blâme sur une personne responsable. Dans une situation aussi grande et complexe, c’est vraiment difficile de savoir si on peut simplifier ça à une personne. Ce que je peux dire, c’est que depuis que je suis ici, j’ai essayé de trouver les meilleures façons pour supporter le succès de l’université pour le futur. »

Certains propos ont été modifiés dans un souci de clarté