À un an des élections : la francophonie sort-elle grandie du règne de la Ford Nation?
TORONTO – À un an, jour pour jour, du prochain scrutin provincial, la francophonie a-t-elle tiré son épingle du jeu sous les trois premières années de pouvoir de Doug Ford? Tour d’horizon des bons coups, des faux pas et d’une promesse toujours sans lendemain de la politique francophile du gouvernement et de son 26e premier ministre de l’Ontario.
NON. Abolition Commissariat-UOF : électrochoc et soulèvement populaire
Cela restera une tâche dans le cahier de l’action politique du gouvernement : dès son arrivée au pouvoir, Ford raye d’un même trait à l’encre rouge le Commissariat aux services français dans sa forme indépendante et le projet d’Université de l’Ontario français (UOF), le plus gros projet de la dernière décennie.
Objectif du budget de l’hiver 2018 : réduire le déficit et couper ce qui est inutile. Une entame tonitruante qui déclenche la colère partout en Ontario et fait prendre conscience au camp conservateur, amputé d’une députée clé – Amanda Simard qui rejoindra le camp libéral après une transition comme députée indépendante -, que la francophonie n’est pas une ligne de dépense qu’on efface sur un coin de la table.
OUI. Création de l’UOF : le hold-up conservateur
Cette impopularité née de la crise de 2018 influencera plusieurs décisions par la suite, dont la principale sera le renversement de vapeur sur le dossier de l’UOF. Donner pour morte, l’université reprend vie sous la signature d’une entente provincial-fédéral qui octroie, à parts égales, 126 millions de dollars pour financer les huit premières années de l’institution par et pour les Franco-Ontariens.
Mais ce gros trophée conservateur – que les libéraux n’ont pas su saisir lorsqu’ils étaient au pouvoir -, est surtout le résultat de l’intervention du fédéral qui aura pesé de tout son poids dans la balance pour aboutir à un accord sur ce dossier de compétence provinciale. L’UOF, qui doit ouvrir ses portes en septembre prochain au cœur de Toronto, table sur une centaine d’étudiants dans sa première cohorte historique.
NON. Laurentienne : un naufrage sans capitaine sur le pont
Sans conteste, il s’agit là d’un des plus grands naufrages francophones sous l`ère Ford. Dans sa chute financière, l’Université laurentienne a abandonné 28 programmes en français et 110 professeurs, en avril dernier. Le ministre des Collèges et Universités, Ross Romano, arguera qu’il ne pouvait rien faire durant le processus de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), avant de finalement sauver un programme sage-femme, puis d’étudier d’autres possibilités.
Ce tardif et partiel sauvetage gouvernemental démontrera qu’il était possible d’intervenir dès le début de la crise. Une observation confirmée par des juristes, indiquant même que le gouvernement pouvait forcer au transfert de programmes vers l’université de Sudbury, comme le souhaitent plusieurs acteurs majeurs de ce dossier majeur, qui traîne depuis en longueur, alors que l’avenir de centaines d’étudiants s’écrit en pointillés. Dernier soubresaut en date : ce serait la province qui aurait précipité La Laurentienne vers la LACC, selon la ministre des Langues officielles Mélanie Joly.
OUI. Un décollage réussi pour la francophonie économique
Rarement on aura autant parlé d’économie dans la francophonie de l’Ontario. D’interminables consultations débutées en 2018 ont finalement abouti, près de trois ans plus tard, à un coup de pouce de 500 000 $ pour mettre sur pied un réseau économique. Ce financement inédit a conduit à la création de la Fédération des gens d’affaires francophones de l’Ontario, ambitionnant de devenir une chambre de commerce en français, et au développement du volet commercial de la plateforme Quartier d’affaires, destinée à rapprocher les entrepreneurs et promouvoir leurs produits.
Ce passage à la vitesse supérieure était devenu incontournable pour amorcer la relance économique sans exclure les entrepreneurs franco-ontariens. Le gouvernement a aussi octroyé, cette année, un million de dollars aux organismes sans but lucratif et a doublé le programme d’appui à la francophonie de l’Ontario (PAFO), auquel les entreprises sont éligibles.
NON. Pénurie en santé et éducation, une plaie béante
La crise sanitaire a soudainement fait exploser la réalité au grand jour : le système de soin manque de personnel qualifié bilingue. Le rapport de la Commission sur la gestion de la COVID-19 dans les foyers de soins de longue durée recommande plus de personnel, plus de lits pour les Franco-Ontariens et une meilleure définition de ce qu’est une telle licence, pour éviter les abus. Dans le même temps, le gouvernement a commencé à agir en finançant la formation de 200 préposés aux services de soutien à la personne (PSSP) de langue française. Mais la route est encore longue.
On pourrait en dire tout autant pour le secteur de l’éducation. Confrontés à une pénurie chronique, les acteurs du dossier ont émis des recommandations en février dernier dans un rapport qui repose toujours sur le bureau du ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, qui ne tient pas à le rendre public, à ce jour. De même qu’il est impossible de quantifier encore les résultats du portail de recrutement d’enseignants francophones, huit mois après sa création par le gouvernement.
OUI. Les symboles, une corde sensible et au bout : un drapeau
Personne ne l’avait vu venir. D’ailleurs, personne ne l’avait vraiment demandé. Les progressistes-conservateurs ont pris tout le monde par surprise en faisant du drapeau franco-ontarien (déjà symbole officiel de la communauté) un symbole de la province, via un projet de loi de la députée Kusendova adoptée juste avant le Jour des Franco-Ontariens 2020.
Vertement critiquée par l’opposition préférant les gestes concrets aux gestes symboliques, la course aux symboles a ensuite était réappropriée par les libéraux qui, via une motion de la députée Collard, ont réclamé que le drapeau soit installé en chambre. Contre toute attente, le clan conservateur dira oui et ira même plus loin : l’étendard vert et blanc flottera devant Queen’s Park. D’autres acquis symboliques ont été obtenus comme, en septembre dernier, l’ajout des accents sur le permis de conduire.
NON. La communication en français, l’autre victime de la crise
La crise sanitaire a mis en évidence bien des failles. À l’opposé de son homologue québécois, François Legault, le premier ministre Doug Ford s’est montré incapable de parler aux Ontariens dans les deux langues officielles, se contentant d’une traduction simultanée chancelante à ses débuts et ne prenant quasiment aucune question de médias francophones.
Les Franco-Ontariens ont aussi constaté avec stupeur que le médecin hygiéniste en chef de l’Ontario, la plus haute autorité médicale de la province, était unilingue. Pour compléter le tableau, les faits ont démontré que les centres de vaccinations ne disposaient pas ou très peu d’infirmières et de services en français, pour un acte médical nécessitant des informations cruciales sur les effets secondaires et les contrindications, immédiatement compréhensibles.
OUI. De relatives avancées dans l’accès à la justice
Le gouvernement Ford peu en revanche se targuer d’avoir fait avancer substantiellement l’accès à la justice en français. D’abord grâce à son projet de loi sur le dépôt de documents en français déposé en février dernier et qui permet à tout justiciable francophone, au-delà d’intenter une poursuite en français et d’avoir droit à une instance en français, de déposer des documents de la preuve dans sa langue. Ensuite parce qu’il a élargi en 2019, puis 2020, un projet pilote à Sudbury et North Bay garantissant un service en français dans leur palais de justice respectif, suivant le modèle d’Ottawa.
Ces gains dans le domaine de la justice sont toutefois à relativiser : la nomination d’une juge unilingue dans le district d’Algoma, en mars dernier, en remplacement d’un juge bilingue, a terni le bilan du gouvernement en la matière.
PEUT-ÊTRE. Modernisation de la LSF : 365 jours pour tenir promesse
La ministre Mulroney en fait la promesse chaque 25 septembre, Jour des Franco-Ontariens : la Loi sur les services en français sera modernisée. Mais pour le moment, force est de constater que la LSF n’a toujours pas été placée sur les tablettes de l’Assemblée législative de l’Ontario. Pourtant, le terrain a été défriché par les néo-démocrates, les libéraux et l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario qui, chacun de leur côté, ont proposé un projet de loi visant à dépoussiérer le texte vieux de 30 ans.
Étendre la désignation sous la LSF à l’ensemble de la province et restaurer le Commissariat aux services en français indépendant font l’unanimité. Mais tout porte à croire, désormais, que le dossier deviendra un enjeu électoral pour conquérir le vote francophone lors du prochain scrutin, le 2 juin 2022.