Le premier ministre Doug Ford s'était présenté en 2022 au sortir d'une crise sanitaire. Il se représente en 2025 à l'aube d'une crise tarifaire. Photo : La Presse canadienne/Eduardo Lima

Les années Ford n’ont pas été un long fleuve tranquille en Ontario. Des coupes du Jeudi noir à la guerre tarifaire américaine, en passant par la pandémie, retour sur sept années de remous linguistiques, sanitaires et économiques.

2018 – Le Jeudi noir de l’Ontario français

À peine élu, le premier ministre a marqué bien des esprits en annonçant, au détour d’un énoncé économique, une série de compressions budgétaires (…) Nous sommes le 15 novembre 2018 et les Franco-Ontariens apprennent avec stupeur l’abandon du projet d’Université de l’Ontario français (UOF) et l’abolition du Commissariat aux services en français.

La nouvelle suscite un tollé dans la communauté. Les appels à la résistance débouchent sur une manifestation d’une ampleur exceptionnelle le 1er décembre suivant : 14 000 Franco-Ontariens battent le pavé partout en province au nom de la défense des droits linguistiques.

L’une des manifestations franco-ontariennes à Ottawa, le 1er décembre 2018. Archives ONFR+

Après cette entrée en matière tonitruante destinée à faire des économies, le gouvernement réajustera son approche vis-à-vis des francophones en actant plusieurs progrès au cours des années suivantes, de l’ouverture de l’UOF à la modernisation de la Loi sur les services en français (LSF), en passant par l’autonomisation de l’Université de Hearst, la désignation d’une 27e région sous la LSF ou encore le réchauffement des relations avec l’Organisation internationale de la francophonie.

2019 – Le bras de fer avec les enseignants

Partout en province, les mêmes images : des cortèges multicolores déferlent dans les rues dans le froid de l’hiver 2019-2020. Les enseignants laissent échapper leur ras-le-bol d’abord par des grèves du zèle, puis dans des manifestations massives qui paralysent les écoles. Une première depuis plus de 20 ans. Les raisons de la colère : des négociations collectives qui piétinent et un plafonnement à 1% de l’augmentation des salaires, issu de la Loi 124 que les syndicats contestent devant la justice.

Les enseignants francophones entrent dans le mouvement en janvier de l’année suivante, puis durcissent le ton en février. Le premier ministre envoie au front son ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, cible quotidienne de l’opposition à Queen’s Park. Dans une entrevue à ONFR, il plaide la désescalade, là où les syndicats critiquent son passage en force.

Face à la pression populaire, il cèdera une partie du terrain et conclura en mars des ententes. La justice, elle, donnera raison aux syndicats en première instance et en appel, rendant nul le gel des salaires.

La dernière grève des enseignants franco-ontariens est survenue en 2020 tout juste avant la pandémie. Archives ONFR

2020 – Les ravages de la pandémie de COVID-19

En mars 2020, COVID-19 oblige, le gouvernement se résout à fermer les écoles et les entreprises. L’état d’urgence est décrété pour limiter la propagation du coronavirus. Comme presque partout sur la planète, l’économie s’en trouve bouleversée. Les hôpitaux aussi. Avec des services d’urgences débordés, on se dote à la hâte d’hôpitaux de campagne. Doug Ford adapte sa politique et investit des milliards de dollars dans le secteur de la santé.

Mais le pire est ailleurs. Frappés par des éclosions à répétition, les foyers de soins de longue durée côtoient la mort. Des milliers de résidents, à commencer par les plus fragiles, ne survivent pas. Le public découvre alors l’état lamentable, à la limite de la dignité humaine, de certains établissements dont on ignorait la réalité. Suffisamment dramatique pour que le fédéral y envoie l’armée.

Au total, la COVID-19 aura été responsable de près de 15 000 morts en Ontario. Une crise face à laquelle la province était mal préparée et qui placera sous le feu de la critique la ministre des Soins de longue durée de l’époque, Merilee Fullerton.

La COVID-19 a mis sous tension les hôpitaux et a fait près de 15 000 morts en Ontario. Photo : Canva

2021 – La crise des opioïdes à son paroxysme

Si la crise des opioïdes est sans fin en Ontario, on peut sans détour affirmer qu’elle a culminé en 2021 avec un tragique record de surdoses, aux environs de 2 800 décès cette année-là, dont presque 600 à Toronto. La pandémie a accentué l’isolement et les problèmes de santé mentale, un terreau fertile à la consommation de drogues de synthèse comme le fentanyl.

Pour faire face, le gouvernement met en place des programmes de distribution de Naxalone, médicament qui inverse les effets d’une surdose, et s’appuie sur des centres de consommation supervisée.

Mais trois ans plus tard, voilà que 10 des 19 existant en Ontario se voient condamnés à la fermeture, car ils sont trop proches des écoles. La vérificatrice générale conclura à un manque de planification et à une stratégie provinciale désuète.

Les surdoses liées aux opioïdes ont connu un pic en 2021. Photo : Christopher Katsarov Luna

2022 – Crise du logement : une cible difficile à tenir

Des prix de l’immobilier qui flambent, un marché locatif en extrême tension, des constructions trop timides et des vagues de rénovictions (…) Dans une période d’inflation et de grimpée des taux directeurs, les Ontariens ont été mis à rude épreuve pour se loger et boucler leurs fins de mois.

Confronté à une crise majeure, le gouvernement Ford a promis la construction de 1,5 million de logements au cours des dix prochaines années. Sa logique : augmenter l’offre pour mieux répondre à la demande et ainsi dégonfler les prix.

Cependant, le rythme ne suit pas dès le départ de l’avis des maires ruraux notamment, et le manque de contrôle des loyers est très critiqué par l’opposition. Résultat : un exode vers d’autres provinces plus abordables, malgré des tentatives d’innovation dans un secteur saturé. ONFR y consacrera une série, Au pied du Mur pour en cerner les contours et en faire émerger des solutions.

Doug Ford s’est engagé à construire 1,5 million de logements au cours des dix prochaines années. Photo : Canva

2023 – La saga de la Ceinture de verdure

Autoriser le développement immobilier sur cette immense langue de terre de 2 millions d’acres encerclant le Grand Toronto aura constitué un des gestes les plus controversés du règne de Doug Ford. L’idée de départ se défend en période de crise immobilière : permettre la construction de 50 000 logements en rognant sur 7400 acres.

Mais une enquête de la vérificatrice générale révèle que des proches du gouvernement auraient bénéficié de renseignements privilégiés les incitant à acheter des terrains juste avant qu’ils ne deviennent constructibles.

Le scandale devient incontrôlable, l’opposition dénonce une affaire de corruption et Doug Ford doit faire machine arrière. Le projet est abandonné, un ministre tombe, puis un autre… La Ceinture de verdure est à nouveau protégée, mais reste à connaître les conclusions d’une ultime enquête, celle menée par la Gendarmerie royale du Canada, à la demande de la Police provinciale de l’Ontario.

La Ceinture de verdure a été au coeur d’un scandale qui a entrainé la chute de deux ministres. Photo : Canva

2025 – Crise tarifaire : à la recherche d’un mandat fort

En 2025, une nouvelle crise éclate, économique celle-là. En affirmant qu’il appliquera des tarifs douaniers sur les produits importés du Canada à hauteur de 25 %, le président américain Donald Trump réussit à liguer contre lui les premiers ministres canadiens. Sous le leadership de Doug Ford, ils dénoncent d’une seule voix l’attaque commerciale et réfutent les invitations du locataire de la Maison-Blanche voulant que leurs pays deviennent le 51e État américain.

La crise est suffisamment grave pour que le premier ministre déclenche des élections générales. Ses détracteurs dénoncent une manoeuvre politique. Lui, justifie que la réponse à Trump nécessite un mandat clair des électeurs pour protéger 500 000 emplois à risque dans la province.

Ses premières contre-attaques tombent : fini l’alcool américain dans les LCBO, fini les contrats provinciaux aux entreprises américaines et le contrat Starlink avec Elon Musk… puis sont aussitôt suspendues alors que Donald Trump accorde un sursis d’un mois au pays. Si cette parenthèse ne devait être qu’éphémère, les économistes prédisent de sombres jours pour la croissance ontarienne.