Dans son rapport annuel déposé ce jeudi, le commissaire aux services en français Carl Bouchard pointe du doigt « un manque de rigueur » entourant la liste des organismes désignés par la Loi sur les services en français (LSF) et des lacunes sur l’application de l’offre active. Il relève également des abus quant à l’usage d’une exemption relative à la LSF qui constituent « une violation des droits linguistiques ». Il exhorte le ministère des Affaires francophones à en définir le cadre.
Dans son rapport annuel, le commissaire aux services en français explique avoir porté à l’attention du ministère des Affaires francophones plusieurs manquements aux règlements régissant la LSF.
Celui-ci met en cause le règlement (398/93), qui liste les organismes désignés en vertu de la LSF, dans la méconnaissance des services par les Franco-Ontariens : « Le manque de rigueur par rapport à l’exactitude des informations communiquées au public est un obstacle à l’accès aux services en français dans plusieurs domaines, dont la santé, la petite enfance, le postsecondaire, les services sociaux et communautaires et les soins de longue durée. »
« L’information souvent obsolète communiquée au public via ce règlement rend difficile la possibilité d’évaluer les obligations de services en français d’organismes désignés, voire impossible dans certains cas. »
Projet de longue haleine du ministère des Affaires francophones, mais qui reste toujours inachevé, celui-ci s’est engagé auprès de l’Unité des services en français à rendre une mise à jour complète d’ici juin 2026.
Dans son rapport de 2024, le commissaire recommandait la création d’un répertoire complet en ligne des services en français, qui fait défaut à la province. Celui-ci a expliqué qu’aucune échéance ne lui a pour l’heure été proposée.
Par ailleurs, le commissaire note des difficultés dans l’application du règlement sur l’offre active (544/22). Par son biais, les services doivent être disponibles en français dès le premier point de contact, sans qu’une personne ait à les demander.
« Plusieurs organisations peinent à assurer une offre active réelle, notamment en ce qui concerne leurs systèmes téléphoniques, leur signalétique et leurs différentes communications », affirme-t-il.
Il indique que même si certains organismes gouvernementaux ont mis en place des mesures, comme l’adoption et la mise à jour de politiques et de la formation du personnel en matière de services en français, la mise en œuvre est « toujours en cours ».
Une exemption abusive de la LSF
Un autre règlement relevant de la LSF a été mis en évidence dans le rapport : le Règlement 671/92, qui offre une exemption quant à l’obligation de fournir des traductions en français de certaines publications spécialisées.
Une exception pouvant s’appliquer lorsque « les publications ou les annexes de celles-ci rédigées par des organismes gouvernementaux […] sont de nature scientifique, technique ou savante, ou ont un but de consultation ou de recherche et […] ne sont pas normalement mises à la disposition du public en général » ou « sont normalement consultées par le public avec l’aide de fonctionnaires ».
Or, l’Unité des services en français a reçu plusieurs plaintes où cette exemption a été appliquée « de manière erronée ».
Des documents liés à des projets de transport en commun et d’infrastructures, et des informations de santé publique auraient dû être disponibles en français, indique le rapport du commissaire, ce qui a été le cas pour Metrolinx, Infrastructure Ontario ou encore Santé publique Ontario.
Le ministère des Affaires francophones a confirmé qu’aucun cadre ne régit actuellement l’application du Règlement, les organismes gouvernementaux évaluant eux-mêmes la pertinence d’appliquer des exemptions.
« Il existe un risque réel que l’application excessive de l’exemption, qui devrait être interprétée et appliquée de manière très restrictive, conduise à une violation des droits linguistiques que la LSF est censée protéger », souligne le rapport.
Le commissaire Bouchard a donc demandé au ministère de créer « un cadre clair et standardisé pour guider les organisations assujetties à la Loi lorsqu’elles considèrent une exemption » et ainsi « combler ces lacunes et incohérences ».
« On a besoin d’un agent indépendant comme la vérificatrice générale de l’Ontario », réclame l’opposition officielle
En mêlée de presse, la députée francophone France Gélinas (Nickel Belt) a déploré le champ d’action limité du commissaire : « On a besoin d’un agent indépendant qui devienne la voix des personnes francophones. Bien qu’il soit le commissaire aux services en français, c’est un employé du gouvernement, qui doit suivre ses directives, et non un officier indépendant ».
« J’en veux beaucoup plus que ça, je veux de la proactivité. Comment se fait-il qu’on ne puisse pas savoir combien de personnes au sein de gouvernement sont capables d’offrir des services en français ? Avec les anciens pouvoirs de François Boileau en tant que commissaire indépendant, je vous garantis qu’on le saurait. »
« En ce qui concerne les services en français, il y a beaucoup de choses que le gouvernement fait qui ne sont pas correctes, et cela devrait être dit publiquement », dénonce celle-ci, avant d’ajouter que Carl Bouchard est pris dans un étau, sans pouvoir émettre ses opinions librement.
Plusieurs autres dossiers criants auraient dû transparaitre dans le rapport, selon la porte-parole néo-démocrate en francophonie, notamment l’accès aux services en français dans les soins de longue durée, les soins à domicile, les soins primaires et dans les hôpitaux.
« Je reçois des plaintes chaque jour de gens qui sont dans des positions vulnérables. Ce qu’ils veulent, ce sont des actions proactives. On sait par exemple que les services en français, ça ne fonctionne pas dans les services juridiques. Attendre des plaintes pour agir, ça n’a pas de sens. »
Le député francophone Guy Bourgouin (Mushkegowuk–Baie James) a renchéri par voie de communiqué : « Dans le Nord, ces défaillances sont encore plus lourdes de conséquences, puisque les services y sont déjà limités, observe-t-il. Lorsque les francophones font face à des processus de plainte unilingues et à des normes de service inéquitables, cela restreint directement l’accès aux services déjà limité dans le Nord. L’inaction de ce gouvernement isole les communautés francophones et met leurs droits en péril. »



































































































































