Adopté ce matin à Queen’s Park, le projet de loi 60 favorisera l’expulsion des locataires les plus vulnérables, selon un avocat francophone spécialiste du droit du logement. Une Commission de la location immobilière (CLI) défaillante, un pouvoir plus unilatéral en faveur des lobbies de propriétaires, celui-ci expose ses vues sur un contexte systémique et ses effets sur les droits des locataires.
Le projet de loi 60, dont le vote a été perturbé par de violentes protestations du public à Queen’s Park, a été adopté à 71 voix contre 43 « non » des trois partis d’opposition. « Vous mettez les gens à la rue », pouvait-on notamment entendre de la tribune.
Pierre-Étienne Daignault, avocat et directeur à la clinique juridique de Prescott et Russell, est spécialisé en droit du logement.
Il dénonce un projet de loi au pouvoir « unilatéral » au détriment des locataires : réduction du délai pour les demandes de loyer impayé de 14 à 7 jours, réduction des délais de contestation d’une décision de la Commission de la location immobilière, de 30 jours à 15 jours, ou encore obligation de payer 50 % des arriérés avant de pouvoir formuler une défense à la CLI.
Les locataires seront également tenus de faire une requête de défense ou de dénonciation au préalable avec preuve, plus automatiquement incluse au processus.
Le projet de loi permettra ainsi aux propriétaires de récupérer leurs logements plus rapidement, laissant craindre encore de rénovictions cachées.
« Le gouvernement a tout de même dû reculer sur la mesure la plus inacceptable, explique celui-ci. Celle du non-renouvellement du bail, à la fin duquel un propriétaire pouvait faire partir son locataire à sa guise, ou pouvait augmenter de 500 dollars le loyer si ça lui chantait et évincer n’importe qui. »
Une Commission de la location immobilière « dysfonctionnelle »
« C’est un peu les mesures ‘bonbons’ que les propriétaires ont demandées. On va accélérer le tribunal dysfonctionnel en usant les locataires. Non seulement on ne va pas les écouter, mais on ne va le faire que dans certaines circonstances. »
Selon Me Daignault, le cœur du problème se situe à la Commission de la location immobilière qui serait dysfonctionnelle : « L’Ombudsman Paul Dubé l’affirme dans son rapport de mai 2023 Justice administrative retardée, équité refusée : ce tribunal (la Commission de la location immobilière) est fondamentalement défaillant en Ontario. »

« Les associations de locataires le répètent : remettez les audiences en personne et nommez des gens compétents qui ont de l’expérience en droit et en logement. Avant 2018, on avait des audiences en personne traitées dans un délai de deux ou trois mois. Moi, j’ai des audiences qui traînent depuis des années », décrie celui-ci.
« Les locataires les plus vulnérables de notre société sont en danger, affirme Pierre-Étienne Daignault. Pourquoi ouvrir la chasse aux locataires en Ontario? On a pourtant une situation qui est catastrophique au niveau du sans-abrisme et ce n’est pas le moment de serrer la vis. »
L’avocat spécialisé en droit du logement dénonce l’influence du lobby des associations de propriétaires, dont la Federation of Rental Housing Providers of Ontario (FRPO), qui « envoie sa liste au père Noël au gouvernement de l’Ontario pour réduire les délais d’attente et se débarrasser des irritants ».
« La FRPO pèse lourd en donations, insinue-t-il. Il y a 10 ans, ils avaient un budget de lobbyisme de plus de 300 000 dollars. Un montant que je ne connais pas aujourd’hui, mais qui a peut-être bien suivi l’inflation. »
L’opposition contre-attaque
En chambre aujourd’hui, le ministre des Affaires municipales et du Logement Rob Flack a défendu le fait que « le projet de loi 60 aidera les propriétaires et les locataires en réduisant les délais de traitement. Il faut rétablir l’équilibre dans le système et penser aux petits propriétaires qui doivent payer leur hypothèque. »
« Il rajoute des droits, il n’en enlève pas. Mais les personnes qui ne payent pas leur loyer seront punies devant la Commission », a appuyé le procureur général Doug Downey.
Ce à quoi la néo-démocrate Chandra Pasma (Ottawa-Ouest-Nepean) a objecté : « Je ne pense pas qu’on puisse être fiers d’accélérer les processus d’expulsion ».

Marit Stiles, cheffe de l’Opposition officielle de l’Ontario, a quant à elle déposé une motion d’opposition demandant à Doug Ford de protéger les locataires ontariens. Cette motion, réclame « plus d’équité à la Commission de la location immobilière (CLI) afin de mettre fin aux expulsions abusives et aux augmentations de loyer supérieures aux lignes directrices ».
Elle demande également au gouvernement Ford d’abroger le projet de loi 60.
« Il s’agit de rendre la vie plus abordable pour les Ontariens, a déclaré la leader néo-démocrate. L’Ontario est confronté à une catastrophe de l’emploi, mais Doug Ford préfère s’attaquer aux locataires et rendre le logement encore plus cher. »
Le chef du Parti vert Mike Schreiner a lui aussi appelé le gouvernement à « abroger le projet de loi » et à « rendre la vie plus abordable pour tout le monde ».
« Depuis l’élection de Doug Ford, les rénovictions ont explosé, les droits des locataires se sont érodés et les temps d’attente à la Commission de la location immobilière n’ont jamais été aussi élevés. Le projet de loi 60 rendra encore plus difficile pour les locataires d’obtenir justice et de tenir les propriétaires fautifs responsables de leurs actes. »

































































































































